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Critique de Lamifranz


Ah ! Ces belles héroïnes du théâtre classique ! Comment ne pas les aimer ? Qu'elles soient filles, soeurs, amies, amantes, fiancées, ou bien qu'elles soient mères, épouses, veuves, belles-mères, ou maîtresses, elles jouent toutes un rôle de femme dans un monde d'hommes (elles jouent, ou « on » leur fait jouer, et « on » ne désigne pas seulement le dramaturge !), et ce seul fait devrait leur accorder tout notre intérêt et toute notre affection. D'autant plus que, les pauvres, elles sont plus souvent victimes que gagnantes dans ces histoires ;
Prenez Iphigénie. Moi je l'aime bien, Fifi. Faut dire qu'elle n'a pas de chance, cette môme : déjà la famille, je vous dis pas : le père Agamemnon, qui s'intitule modestement le Roi des Rois, pense que, puisqu'il a la plus grosse… couronne, il est le plus fort, le plus intelligent, et qu'il a toujours raison ; la mère Clytemnestre, on sait ce qu'elle vaut, c'est pas du reluit-seul, comme on dit chez moi ; son frère et sa soeur, ce sont Oreste et Electre, autant dire des gens… euh… à problèmes (même s'ils n'arriveront que plus tard). Son « fiancé », c'est Achille, oui le Chichille de l'Iliade, qui l'aime bien – jusque-là ça va – mais qui est lui-même l'objet des voeux d'Eriphile, la meilleure amie d'Iphigénie !
Agamemnon, qui ne brille pas par sa sagacité, croit dur comme du fer le devin qui lui demande de sacrifier Iphigénie pour s'assurer un bon voyage vers Troie. du fait, il pense annuler les fiançailles d'Iphigénie et Achille, mais c'est déjà trop tard, tout le monde est là. Quand il parle d'amener Iphigénie à l'autel, il est le seul à penser que ce n'est pas pour le mariage, mais pour le sacrifice. Petit à petit, les autres commencent à comprendre, y compris Iphigénie. Que vouliez-vous qu'elle fît, Fifi ? C'est une fille à papa, avec un respect filial édifiant doublé d'un réel patriotisme, elle accepte le sacrifice. du coup c'est papa qui est ébranlé, surtout qu'Achille pousse une grosse colère (c'est son truc, la colère, à Achille). Alors il met en place un stratagème pour essayer d'arranger les choses… Mais il y en a qui vont y laisser des plumes…
Une des plus belles pièces de Racine (avec toutes les autres). En lisant le thème, on aurait pu se dire, le thème, c'est Agamemnon tiraillé entre son amour paternel et la raison d'état. Que nenni, mes amis ! Agamemnon, il n'a pas tellement le beau rôle, dans la pièce, il est hésitant, et finalement il fait passer son intérêt politique avant toute chose. Non, la vraie héroïne c'est bien notre Fifi : elle est prête à endosser le martyre pour la cause commune (le départ de la flotte) et privée (elle laisse le champ libre à Eriphile et Achille). Mais elle va trouver encore plus chevaleresque qu'elle…
En écrivant cette chronique, je me faisais la réflexion que finalement, la tragédie au XVIIème siècle, coïncidait avec la pensée de Pascal : le coeur a ses raisons que la raison ignore. Ce que je dis là n'a aucune valeur historique, vu que nos auteurs écrivaient déjà bien avant la publication des pensées (1670) : mais avouez que la coïncidence est frappante : le coeur et la raison restent les deux pôles de la tragédie : si on tire plus du côté de la raison, on va vers un théâtre plus cérébral, plus pensé, plus « masculin », on va vers Corneille. Si on tire du côté du coeur, on va vers un théâtre plus sensuel, plus vécu, plus « féminin », on va vers Racine. Les profs de français qui me lisent ne seront peut-être pas d'accord, et ils auront sans doute raison, mais ce rapprochement m'a paru assez évident pour le soumettre à mes amis et amies babélionautes.
Pour en revenir à notre Fifi, je ne résiste pas à vous donner la version de l'histoire par Georges Fourest (qui avait déjà passé le Cid à la moulinette) :

IPHIGENIE
Les vents sont morts : partout le calme et la torpeur
et les vaisseaux des Grecs dorment sur leur carène
qui cinglaient vers l'Asie au pourchas de la reine
Hélène que ravit Pâris, l'hôte trompeur.


Ivre, d'une fureur qu'Ulysse en vain réfrène,
Agamemnon, le roi des rois, l'homme sans peur
déplore en maudissant la mer toujours sereine
qu'on n'ait pas inventé les bateaux à vapeur.


Mais sa fille, à ses pieds, la douce Iphigénie
fermant ses yeux dolents de douceur infinie
s'endort comme les flots dans le soir étouffant…

Lors, ayant dégainé son grand sabre, le maître
des peuples et des rois jugule son enfant
et braille :"Ca fera baisser le thermomètre!"

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