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Critique de emdicanna


La scène première des Plaideurs de Jean Racine est pour moi un plaisir double : le souvenir d'un texte appris par coeur au collège, texte qui m'avait tout de suite plu, certainement parce que la professeure de l'époque avait su nous l'offrir. Et qui m'a accompagnée tout au long de ma vie.
Et puis un plaisir de lecture toujours renouvelé, un style enlevé, un comique porté par l'écriture avant même d'être un comique de l'action.

La scène est dans une ville de basse Normandie.

ACTE PREMIER.

Scène première.

PETIT-JEAN, traînant un gros sac de procès.

Ma foi, sur l'avenir bien fou qui se fiera :
Tel qui rit vendredi dimanche pleurera.
Un juge, l'an passé, me prit à son service ;
Il m'avait fait venir d'Amiens pour être suisse.
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous :
On apprend à hurler, dit l'autre, avec les loups.
Tout Picard que j'étais, j'étais un bon apôtre,
Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Tous les plus gros monsieurs me parlaient chapeau bas ;
Monsieur de Petit-Jean, ah ! gros comme le bras !
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi ! j'étais un franc portier de comédie ;
On avait beau heurter et m'ôter son chapeau,
On n'entrait pas chez nous sans graisser le marteau.
Point d'argent, point de suisse, et ma porte était close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendais quelque chose :
Nous comptions quelquefois, on me donnait le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin ;
Mais je n'y perdais rien ; enfin vaille que vaille,
J'aurais sur le marché fort bien fourni la paille.
C'est dommage : il avait le coeur trop au métier ;
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier ;
Et bien souvent tout seul, si l'on l'eût voulu croire,
Il s'y serait couché sans manger et sans boire,
Je lui disais parfois : « Monsieur Perrin Dandin,
« Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin.
« Qui veut voyager loin ménage sa monture ;
« Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »
Il n'en a tenu compte ; il a si bien veillé,
Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé.
Il nous veut tous juger les uns après les autres.
Il marmotte toujours certaines patenôtres
Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, malgré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré.
Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire ;
Il disait qu'un plaideur dont l'affaire allait mal
Avait graissé la patte à ce pauvre animal.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.
Il nous le fait garder jour et nuit, et de près :
Autrement, serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allègre.
Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre ;
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller.
Mais veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi, pour cette nuit il faut que je m'en donne ;
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons.
(Il se couche par terre.)



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