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Critique de Apoapo


Durant les deux confinements de 2020, Atiq Rahimi et sa fille Alice, âgée de 23 ans, ont vécu leur isolement séparément et ont entretenu une correspondance, presque quotidienne dans la première période. Il est probable que cette situation ait été assez fréquente entre parents et enfants partout dans le monde, mais ce qui est exceptionnel, et justifiant la publication, c'est que les deux « personnages » d'une correspondance mise en récit et publiée presque aussitôt – et donc naturellement de leur vivant – sont un écrivain bien connu et sa fille qui, comme comédienne en herbe, a déjà le pied à l'étrier dans le monde de la culture.
Les premiers messages portent toutes les marques de la « vraie » correspondance, celle d'un père et d'une fille qui se languissent de se voir, dont le quotidien et les projets ont été bouleversés par un enfermement imprévu, qui sont angoissés par une menace meurtrière encore méconnue et sans remède. Mais très vite l'un et l'autre – d'abord le père – se questionnent sur l'identité du véritable destinataire de leur dialogue : l'interlocuteur ? soi-même ? ou bien... ? Et là, je suis persuadé qu'a dû surgir l'idée que cette correspondance pourrait avoir un caractère littéraire et un lectorat hors de l'intime. Or le surgissement de cette idée n'est absolument jamais évoqué, la fiction de la correspondance à deux se ne vacille pas et, en tant que lecteur, je me suis d'abord senti floué par ce silence, comme si le contrat lectoral était pipé. Il est d'ailleurs intéressant qu'un assez long détour sur la passion de tricher aux jeux de cartes du père de l'écrivain soit mentionnée, accompagnée d'une belle esquisse d'analyse du célèbre tableau du Caravage sur le sujet.
Et alors que faire de ce dialogue un peu littéraire, un peu savant, très bien écrit et devant être intéressant pour les inconnus, mais où pourtant la volonté est toujours bien présente de ne pas gâcher l'occasion de se parler intimement, entre père et fille, entre fille et père ? Sans doute, ça n'a pas dû être facile, pour un père qui éprouve le besoin d'immortaliser pour sa fille le récit de l'héritage qu'il lui confie, et pour une fille, avec une « discrète impertinence », de lui régler ses comptes tout en l'interrogeant – besoin fondamental pour la construction de tout enfant – sur la vie que ses parents menaient avant sa venue au monde, tout en lui renvoyant également ses souvenirs des circonstances dans lesquelles il l'a blessée involontairement dans l'exercice de sa fonction paternelle. Des pages à lire au second degré et à méditer profondément par les pères (et leurs filles)...
Tension entre l'intime et l'informatif, donc. Et les inconnus que nous sommes, que pouvons-nous en retirer, et surtout allons-nous nous en satisfaire ? Pour ma part, je retire, à travers une histoire individuelle et familiale, des connaissances que je ne possédais pas sur les quatre dernières décennies de l'Histoire de l'Afghanistan, qui ont été cruciales ; des spécificités culturelles et de psychologie collectives des Afghans, notamment sur la question du « mal de deuil », que l'auteur met en relation avec la position géographique du pays, situé au croisement et à la périphérie du monde indien et du monde islamo-persan ; de nombreux détails biographiques d'un écrivain que j'adore, du chemin de son exil (voire de son voyage « initiatique » en Inde) jusqu'à l'obtention du Prix Goncourt en 2008 ; et surtout une nouvelle tesselle de la mosaïque fascinante de la littérature migrante.
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