AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Ahoi242


Avant que le dernier livre de Robert Redeker n'apparaisse dans la liste des livres d'une masse critique et que je le coche avec d'autres, j'avais entendu l'auteur le présenter dans une émission de radio. Il était alors face à un ancien footballeur, un consultant et un journaliste et ces trois-là n'étaient pas nécessairement en phase avec sa pensée.

Choisi pour lire et critiquer Peut-on encore aimer le football ?* - peut-être parce que j'ai déjà quelques lectures et critiques de livres sur le football - j'en ai commencé la lecture en arrêtant celle d'autres livres - et notamment pour les livres consacrés au football, Une histoire populaire du football de Mickael Correia. À un moment donné, j'étais sur le point d'arrêter ma lecture pour certaines raisons que j'expliquerai plus tard mais je l'ai poursuivi pour une expérience finale plutôt positive.

Pour paraphraser le titre de son livre, je me suis alors demandé « Peut-on (encore) aimer le livre de Robert Redeker ? ». Au fur et à mesure de ma lecture de cet essai à l'écriture fluide et érudite, sans être pédante pour autant, invariablement, je lisais sous les mots de l'auteur la critique (virulente) du capitalisme contemporain dont le football ne serait que « la fable du monde » (chapitre I), que « la saga impudique du monde réel » (chapitre XXVI).

Une nuit, dans un rêve - reproduisant la même expérience que Robert Redeker visité dans un de ces rêves par Karl Marx et Spinoza - à la manière d'un Aimé Jacquet (le sélectionneur de l'équipe de France en 1998) conseillant à un autre Robert (en l'occurence Pires) : «  Robert, muscle ton jeu », du banc de touche, je criais « Robert, muscle ton écriture », écris ta critique du système capitaliste et laisse le football tranquille.

Ce que Redeker critique, c'est ce qu'il appelle le football-spectacle, l'après football ou le post football - il ne va pas jusqu'à ce qu'Enki Billal décrit dans Hors jeu - et que d'autres appellent le football-business - «  Le football est-il encore le football, ou bien assistons-nous au développement de quelque autre chose qui continue de porter le même nom tout en étant radicalement une autre chose ? » (p. 144). Nostalgique du football de Platini, Pelé, Cruyff ou Rocheteau, Robert Redeker n'aime pas le football des Neymar, Mbappé, du « mercato ou la disparition du football » (chapitre XVI), de la récupération par le politique du football, de ce que les footballeurs - mais aussi les musiciens et d'autres artistes - se substituent aux scientifiques, philosophes, écrivains dans l'imagerie et la représentation populaires et les exemples à suivre pour la jeunesse. Comme il l'avait déjà écrit à propos du sport* : « Le sport est une propagande permanente pour le libéralisme économique. Il exalte bien sûr les marques, la consommation débridée, le fétichisme de la marchandise, mais aussi la loi du plus fort, le mépris des plus faibles, le culte de  la performance, de l'évaluation, de la maximisation des forces, de la concurrence forcenée. Son idéal : les hommes sont des loups pour les hommes, homo homini lupus. »**, Robert Redeker le spécifie dans ce livre avec le football.

Contrairement à d'autres livres sur le football adoptant la même lecture et la même ligne d'attaque - Les Cahiers du Football ou Une histoire populaire du football de Mickael Correia -, il ne dit que tardivement son « désamour » du football-spectacle et son « amour » du football - voir le chapitre XXV intitulé « Amants du football » dans lequel il évoque ses souvenirs de jeunesse de pur football, de jeu pour rien si ce n'est être. C'est cet aspect-là qui m'a dérangé dans le courant de ma lecture. Par ailleurs, certaines de ses analyses - celle sur le mercato (chapitre XVI), ce troisième temps «  le plus important - le temps où tout se joue, où tout se perd, où tout se gagne, par rapport auquel les matchs ne seront qu'un excitant supplément d'âme » (p. 147), sur « Héros, saint, génie, footballeur » (XXII) ou sur « L'improvisation en en football » (chapitre XXIV) - sont intéressantes et différentes de celles d'autres livres sur le football - notamment par le détour par la philosophie.

Même s'il ne le cite jamais et l'écrit de manière différente, le point de vue de Robert Redeker se retrouve globalement dans ce qu'écrivait Eduardo Galeano dans Football, ombre et Lumière :

«  L'histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir. À mesure que le sport s'est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer. En ce monde de fin de siècle, le football professionnel condamne ce qui est inutile, et est inutile ce qui n'est pas rentable. Il ne permet à personne cette folie qui pousse l'homme à redevenir enfant un instant, en jouant comme un enfant joue avec un ballon de baudruche et comme un chat avec une pelote de laine : danseur qui évolue avec une balle aussi légère que la baudruche qui s'envole et que la pelote qui roule, jouant sans savoir qu'il joue, sans raison, sans chronomètre et sans arbitre.
Le jeu est devenu spectacle, avec peu de protagonistes et beaucoup de spectateurs, football à voir, et le spectacle est devenu l'une des affaires les plus lucratives du monde, qu'on ne monte pas pour jouer mais pour empêcher qu'on ne joue. La technocratie du sport professionnel a peu à peu imposé un football de pure vitesse et de grande force, qui renonce à la joie, atrophie la fantaisie et proscrit l'audace.
Par bonheur, on voit encore sur les terrains, très rarement il est vrai, un chenapan effronté qui s'écarte du livret et commet l'extravagance de feinter toute l'équipe rivale, et l'arbitre, et le public dans les tribunes, pour le simple plaisir du corps qui se jette dans l'aventure interdite de la liberté. »

Au final, il est bien possible d'encore aimer le football et d'aimer le livre de Robert Redecker pour peu que l'on s'intéresse au football, à la philosophie et à la critique du capitalisme.

* Je remercie l'éditeur, les Éditions du Rocher, et les organisateurs de l'opération Masse Critique.
** http://evene.lefigaro.fr/celebre/actualite/robert-redeker-le-foot-se-substitue-a-la-culture-1011764.php
Commenter  J’apprécie          120



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}