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Critique de Tlivrestarts


Le mois de février risque bien d'être marqué par des lectures coup de poing. Jamais 2 sans 3, voici le 3ème uppercut de la série.

Ce roman fait partie de la toute nouvelle sélection des 68 première fois, et oui, l'édition 2017 est bien là avec son lot de très belles surprises ! Voici un 1er roman qui laisse augurer un très bel avenir à son auteure.

Nous sommes à la fin de l'année scolaire, Camille décroche son bac avec mention. La voilà libérée de la pression de l'examen, mais ce n'est pas la même chose pour son amie, Eva, d'origine polonaise. Avec cette jeune fille, la relation entretenue est amoureuse. Depuis cette soirée de résultats où la musique a résonné, l'alcool a coulé, les esprits se sont libérés, le sexe s'est invité, Camille n'a plus revu Eva. D'ailleurs, les volets de sa maison sont clos. Où est-elle ? Que fait-elle ? Pourquoi ne répond-elle plus aux sms ? aux appels téléphoniques ? Pourquoi ne montre-t-elle plus signe de vie ? Et sa famille, où est-elle ? Les effets de la soirée bien arrosée effacés, la pillule du lendemain avalée, Camille essaie de se raisonner, Eva sera là pour le rattrapage du bac programmé dans une dizaine de jours. Elle essaie ne pas céder à la pression des parents qui parlent de repos pour mieux affronter le job d'été, de cet enfermement qu'ils lui préconisent depuis son plus jeune âge. Elle a été élevée avec cette phrase mille fois répétée : "Ne parle pas aux inconnus". Mais voilà, le jour du rattrapage arrive, Eva n'est toujours pas de retour, Camille n'en peut plus, elle décide de tout quitter, ses parents, sa soeur, ce pays. Elle part à la recherche d'Eva qui représente toute sa vie, une nouvelle histoire commence alors...

Ce roman, quand on est mère, que l'on a une fille en plus, c'est une claque magistrale. Je me souviens très bien de celle reçue de Delphine BERTHOLON avec "Les corps inutiles". D'ailleurs, c'est très drôle, je viens de relire ma chronique d'avril 2016 et j'emploie rigoureusement les mêmes termes pour qualifier ce coup de poing dont j'ai encore du mal à me relever, comme quoi, la sensibilité doit être dans la même veine !

A la lecture de ce roman, je sors profondément marquée par la prise de conscience des effets induits par une éducation qui laisserait à penser que derrière chaque être humain un mal sommeille. L'instinct de protection porté assez naturellement à notre progéniture ne reviendrait-il pas à lui faire craindre l'Autre ? Camille illustre parfaitement cette jeunesse qui a grandi avec le syndrome d'enfants disparus, enlevés, violés... A trop vouloir protéger nos chères têtes blondes, ne risquerions-nous pas de leur en faire perdre le sens de l'altérité ? L'écrivaine prend le parti opposé avec des rencontres masculines qu'elle veut attentionnées tout au long de l'itinéraire de Camille de Thionville en Lorraine à Melike en Pologne.

Ce qui m'a beaucoup touchée une nouvelle fois, ce sont les émotions exacerbées de l'adolescence. Les doutes, l'inquiétude, l'angoisse... prennent une dimension décuplée. Alors, quand il s'agit de relations amoureuses, il est assez facile d'imaginer à quel point la découverte du corps et de son intimité peuvent déstabiliser. Là aussi, Sandra REINFLET décide d'emprunter des sentiers non balisés. Elle prend le chemin de l'homosexualité, celui sur lequel encore peu d'écrivain.e.s se sont engagé.e.s. le propos donne à réfléchir. Cette citation montre bien la confusion des genres (et je pèse mes mots) et à quel point il peut être parfois difficile de mettre des mots :

"Ma mère veut mon bien. En sanglotant sur mon lit, elle se demande ce qu'elle a foiré. Ce qui m'a manqué pour que je sois déséquilibrée. Dé-sé-qui-li-brée. C'est le mot qu'elle utilise." P. 107

Quand, à 18 ans, on ne parle pas du bac ni d'amour, de quoi parle-t-on ? Et bien d'orientation professionnelle bien sûr. Là encore, l'auteure se plaît à explorer une voie qui, auprès des parents comme des institutions, n'a pas bonne presse, celle de l'art. Camille, elle, se plaît à dessiner. Pourra-t-elle en faire son métier ? C'est bien mal connaître ses parents encore que... les choses pourraient bien évoluer ! J'ai adoré cette parenthèse offerte avec le festival d'Angoulême.

Sandra REINFLET nous brosse le portrait d'une certaine jeunesse qui compose aujourd'hui notre société, elle en décrit son mal-être mais n'en fait pas quelque chose de rédhibitoire. Ce roman est profondément porteur d'espoir. Il suffit d'explorer la relation mère-fille pour s'en convaincre. Engagée douloureusement, elle va s'apaiser avec le temps. Je crois que c'est ce qui m'a finalement le plus plu dans ce roman initiatique, c'est le fait de pouvoir partir en se disant que plus rien ne pas et revenir en appréciant la valeur de chaque instant comme s'il était le dernier. Sandra REINFLET puise dans l'acte de résister de Camille une capacité à rebondir :

"Non, je veux le voir, pour me rappeler qu'il faut désobéïr. Pour me souvenir qu'on est tous des boutures et que nos racines peuvent repousser n'importe où." P. 295

Un mot enfin sur la plume de l'écrivaine et la forme narrative. Sandra REINFLET utilise la 2ème personne du singulier. Camille s'adresse effectivement à Eva qu'elle interroge sur les motifs de son absence. Mais, au fur et à mesure que l'on tourne les pages, ce recours au "tu" interpelle aussi le lecteur, la lectrice. Procédé très ingénieux ! Antigone, j'ai bien pensé à toi en lisant ce roman, je pensais qu'il s'agissait de l'un de tes billets ! Cette forme pourrait bien être suffisamment rare pour être remarquée !

C'est un magnifique roman dont la lecture m'a mise chaos. Pour certain.e.s, le sujet est assez banal, une jeunesse qui étouffe et qui aspire à une plus grande liberté, n'est-ce-pas l'essence même de la jeunesse, mais c'est ce qu'en a fait Sandra REINFLET qui est tout à fait exceptionnel.
Lien : http://tlivrestarts.over-blo..
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