- [...] En venant chez toi, je me suis demandé ce que j'avais fichu au commissariat pendant toutes ces années. Et tu sais ? (Il libéra doucement son bras et se souleva sur le coude.) Je n'ai pas trouvé.
- Qu'est-ce que tu n'as pas trouvé ?
- Je ne sais toujours pas ce que j'y foutais ! Je n'ai pas amassé de magot, je n'ai pas terrorisé les gens, je n'ai pas fait de courbettes sans nécessité. De toute évidence, je n'ai pas cherché mon profit. Ni le pouvoir. Alors j'ai travaillé pour quoi ? Pour faire régner l'ordre ? La justice ? De quel ordre parle-t-on? La justice, le pouvoir n'en veut pas. Ni celui d'hier, ni celui d'aujourd'hui. Le pouvoir n'aime que lui-même, il cherche à se hausser, il tente d'atteindre la meilleure part du gâteau. Autrefois on prenait des gants, aujourd'hui on ne se gêne plus.
On nous a volé notre rêve, on l'a remplacé par du fric ! Et surtout... le peuple n'a rien contre. On lui jette des miettes de la table des maîtres, il est ravi ! Ca suffit pour acheter de la bière !
Non, cela n'a pas de sens de faire du fric pour faire du fric... Il y a eu une époque où on avait l'impression de construire quelque chose. Un pays libre, par exemple. En fait, ce n'est pas du tout ce qu'on nous demande.
Personne n’était là pour l’admirer, or cela n’a pas de sens de s’admirer soi-même. Pour être fier, on a besoin de quelqu’un d’autre.
Le travail rapproche, surtout un travail dur ou dangereux. Ils étaient presque devenus amis à présent.
Les communistes ont cessé de faire confiance aux gens et ont placé des flics partout. Du coup on est tous devenus des voleurs.
C’est quoi, ce pays où les flics ont toujours raison ? Un asile de fous !
Il chercha un flic correct parmi ses subordonnés et n’en trouva pas. Il n’y en avait pas.
Donc, moi non plus…Qu’ai-je donc fait de ma vie ?
Autrefois, avant les bolcheviks, il n’y avait pas d’autorités ici, un policier et demi, c’est tout. Les gens venaient dans le coin pour trouver la liberté. Qu’est-ce que tu crois ? La Sibérie a toujours été libre.
— Tu sais pourquoi nous n’aurons jamais de gens bien au pouvoir ?
— Pourquoi ?
— Parce que nous n’en avons pas besoin. Je le sais parfaitement ! Regarde. Ce dont j’ai besoin, la technique par exemple, ou l’arme, je me les procure, et de bonne qualité. J’y veille, j’essaie de les améliorer. Le pouvoir ? Je n’en ai pas besoin, c’est pour ça qu’il est comme il est. J’ai tout ce qu’il faut, je me débrouille sans eux. Non, sérieusement, il faut l’abolir complètement, le pouvoir.