Puisque le sort m'a privilégié (parmi tant d'autres qui méritaient bien mieux que moi cette insigne faveur) en me permettant d'approcher souvent le Général, d'être parfois honoré de ses confidences, de le voir vivre devant moi au naturel, j'ai conçu l'ambition d'être vis-à-vis de toi, ami lecteur, comme un introducteur officieux qui te ferait entrer dans l'intimité d'un homme dont le nom, plus que jamais, figure sur toutes les lèvres, mais dont un destin singulier fait qu'il est en même temps, sans aucun doute, le Français le plus mal connu de France.
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Pour que la France un jour renaisse à la lumière
Dans le ciel élargi d'un matin triomphant
Ces héros, ces croisés, ces hommes, ces enfants,
Firent de l'ombre leur tanière.
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Et pourtant frémissant d'un indicible émoi
Il nous disait : Français ! Ah !... Français ! Croyez-moi
Il faut oser quitter cela
Le quitter pour le mieux reprendre
Car tout vaut mieux que de se rendre.
Il faut
Dussiez-vous vous armer de fourches et de faux
Que s'apprête l'ardente et sanglante récolte
Que quelque part en France une flamme s'allume
Qu'elle s'allume.
Qu'elle brûle, rouge de rage et de révolte
Pour que le monde se souvienne
Que la France est pour l'homme et pour les nations
La patrie où jamais la fureur n'est tarie
[p114]
Tout ce qu'il a chanté d'héroïque et d'immense
Tout ce que le courage à jamais recommence
Les flots que soudain peuple un millier de barques
L'armée en armes qui déborde et qui débarque
Pour la ruée et le combat et la victoire
A l'heure où flagellant la frémissante moire
De la mer où bondit son quadruple attelage
La véhémente aurore incendiera les plages.
[p102]
J'ai reçu mes dernières instructions... oh ! elles ne sont pas difficiles à retenir ! « En somme », m'a dit Passy, « tout tient en ceci : envoyez-nous le plus rapidement possible, par n'importe quel moyen, le maximum de renseignements, sur n'importe quoi ! »
[p17]
D'autres parlent de sa timidité. Ils se fondent sans doute sur le fait que le Général, lorsqu'il est mis en présence d'un inconnu, semble gêné et ne dit mot. Qu'ils ne s'y fient pas ! S'il ne parle pas, c'est pour mieux écouter. S'il prend la parole, c'est pour interroger. S'il n'a dit mot, qu'ils se souviennent que le Général, comme tous ceux qui ont étudié le latin, a appris à savoir s'ennuyer poliment.
[p71]
Les hommes et les femmes qui, en France et dans notre Empire, ont de bonne foi suivi Pétain (j'exclus bien entendu les profiteurs du régime, la tourbe des lâches trop heureux de couvrir leur mauvaise conscience du manteau du vainqueur de Verdun, les affairistes et combinards de tout poil), ces hommes et ces femmes appartenaient toujours, oui, toujours (!) à l'élite de la France. Leur désintéressement, leur courage et leur patriotisme ne pouvaient faire aucun doute dans notre esprit (j'en ai connu, et bien plus d'un !). Aveuglés par le mythe de Pétain, persuadés, au plus profond d'eux-mêmes, que le vieillard de Vichy ne pensait à rien d'autre qu'à la France et qu'il saurait, le jour venu, les sortir de l'humiliation de la défaite, ils se sont laissés entraîner sur la voie sinueuse où les guidait un nom prestigieux, s'abandonnant à Pétain, se donnant à lui corps et âme. Beaucoup, à l'heure où j'écris, paient très lourdement les conséquences d'une foi qu'ils avaient mal placée et leur manque de sens critique. Beaucoup ont été jugés par des chambres dites civiques, par des cours dites de justice, présidées par des magistrats qui, il n'y a pas si longtemps, envoyaient allègrement nos camarades en prison ou au poteau, assistés eux-mêmes par trop de prétendus résistants dont il n'aurait pas été mauvais d'examiner d'assez près les titres encore tout frais ou de savoir s'ils ne plaçaient pas la passion politique ou la rancune personnelle avant l'équité.
[p34-35]