Citations sur Toutes les îles sont secrètes (48)
Dits d'un voyage
3
Subitement quelqu'un cria : « Le mal mourrait s'il
faisait jour comme il fait jour dans le mystère ! »
Il faisait nuit. J'étais allongé, vêtu d'un suroît, sur
une couche de varech glacé — les doigts tièdes, odorants
d'une étrange rosée tombée d'où? tombée quand ? à
travers le brouillard de la marée baissante.
Les grèves de Cornouailles gardent d'antiques pouvoirs...
Mais je ne saurai pas dans quelle île, je ne saurai jamais
de quelle fête j'ai peut-être un instant vécu !
Dits d'un voyage
2 / L
Sous quelles transes ma chair (si c'est elle et qu'aucun
rêve ne l'éveille des uniques sommeils qui n'endorment
point) se savoure-t-elle en goûtant ce pays d'argile et d'esprit
intimement pétris l'un de l'autre ?
La rivière d'où l'on ne revient pas a vertu d'épices —
augmente à chaque guise l'allégresse d'y baigner d'infinies
genèses. Dans l'estuaire, des loutres louent les oursins, des
cormorans m'attirent à ras d'écume.
Ah! que l'océan qui médite...
Dits d'un voyage
2 / K
Est-ce par l'ange que, nourris de dilections délectables, ce
double à l'ouest, ce double au sud (non ces sosies) perpétuel-
lement se magnétisent dans une souveraine lumière ? Effective?
Illusoire ? Un champ de capucines chasse comme une vipère la
question...
Près des lauriers, gîtent un léopard et un daim. Nos émerveil-
lements s'échangent, se complètent, s'amplifient ainsi qu'un
buisson de corail.
Même les métaux, les gemmes, les cuirs, les tranches d'aubiers
et d'écorces ici se mangent avec les résines, les cires crues — et de
mes moelles à leur tour s'alimentent, tissent leurs sèves, teignent
leurs soies...
Dits d'un voyage
2 / J
Sous mes rémiges (ai-je, dans l'immobilité, pris vol intérieur,
extérieur ?), s'étend l'écu dont d'incantatoires lignages élisent
les quartiers :
au premier de sable bandé d'un vaisseau,
d'un dauphin lauré, d'une lyre :
tous de gueules ;
au deuxième d'azur à une clef en tête, un cep fruité,
plus un renard armé marchant sur une terrasse :
tous de sinople ;
au troisième d'orange chargé d'une étoile à cinq rais
en dextre canton et burelé d'un pont donjonné,
d'un cor et d'un tilleul fleuri :
tous d'argent ;
au quatrième de pourpre losangé d'une aigle essorée,
d'une couronne et d'une sirène :
toutes d'or.
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Dits d'un voyage
2 / I
Suffit-il d'un prisme de vocables obliquement orientés pour
l'approcher par ruse, en capter un reflet, une lueur ?
Le jeu d'éden se joue sans lois : n'a ni commencement ni
terme.
Entre les profondes falaises où ne s'imprime plus l'écriture
(inutile au fil de l'ivoire, à la célébration du jade), une seule
parole est acte : noue le visible et l'invisible — les fusionne.
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Dits d'un voyage
2 / H
À l'est, dans le vallon bordé de forêts bleues paissent
des licornes. Devant elles, devant qui pose sur mes épaules
son événement, ses paumes (l'évidence mêlée à l'arcane),
lui l'étant, avec lui je suis royaume et règne.
Deçà la certitude, delà l'incertitude que valent, pour la
gloire ou le débris des braises, Bélier, Taureau, Gémeaux,
Cancer, Lion, Vierge, Balance, Scorpion, Sagittaire, Capricorne,
Poissons, Verseau : présages (à quelles fins) tournant parmi
l'espace désormais alchimique ?
Comment admettre... Je me tairais si j'avais science !
Pourtant, la chaleur laque les peupliers. Les plumages
vernissent les nids. Des feuilles de sauge au lit d'une
source, les yeux d'un lézard, un coquillage qui respire
au rythme du sexe essentiel : des rites de création ou,
douce à l'orvet, la peau d'un caillou gravé de fougères
— comblent l'oracle, scellent l'alliance incorruptible.
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Dits d'un voyage
2 / G
Visage d'homme, droit sur l'hysope, « oncques
ne dévie ». Ne quitte pour nul autre ce verger. Et ce
diamant, creusé de chambres sombres, y pénétreras-
tu si le soleil y entre ?
Quand ta légende n'augure plus : tu l'es, tu l'accomplis.
Ni le besoin ni l'espoir du bonheur ne protègent de la
menace, de l'aléa muet des ruines — mais lui-même,
natif, mûr comme une pêche.
« Foi à qui l'a. » Foi fiance, oui — lorsque déchues
idées, adhésions, mémoire (et moi jusqu'affranchi des
figures du divin), affirmer, infirmer n'ont plus sens !
Un regard m'habite : rénove le mien ; je m'y multiplie.
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Dits d'un voyage
2 / F
Fasciné mais libre : abolie l'hostile drogue des secrets,
déjà (Delphes ! Delphes !), une reine noire m'installait
dans la tendresse de ses algues.
« Ce qui doit être ne peut manquer. »
Sur les galets, l'imposture rouille. L'an passe, l'art lasse,
l'arc casse — et au jusant comme au perdant rien fut mon
nom.
Quelle main me délivrera de demeurer ni plus ni moins,
ni mieux ni pire ? Cherchant que n'ai, cherchant qui a (car
le mythe n'est pas soumis), allais-je découvrir...
Veuille l'été que maille à maille se délient avant les
extrêmes neiges
reptiles lèpres laves orages traques proies
injustice misère angoisse atrocités
philtres monstres miroirs hypnoses haines crimes
scandale solitude oxydes fœtus pieuvres
silex tisons malheurs temps tabous sacrilèges
fièvres souillures rapts uranium chaos cendres
mandragores tunnels lunes froid dards fétiches
dénis désastres sphinx comas gouffres — destin !
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Dits d'un voyage
2 / E
Ai-je outre-songes, réellement... Qu'importe ! Sans
différence l'éclair obscur, l'éclair brillant : et d'eaux
pareilles pour les puits de cristal — ne compte, même
prophétique, que ce saisissement de l'être, là, tout à
coup, par l'absolu.
O jeunes menhirs mousseux de laits, de mannes,
de myrtilles, « la mort n'y mord » quand vous m'érigez
vers les hâtes de la terrible vulve sainte !
Hors crainte, hors feinte un cerf (sinon le roi « de
tous châteaux portier »), soufflant sur les blessures
des derniers démons d'horreurs et d'hivers : oc, d'ahan
et d'à bout, de viols et de venins, d'exodes et d'exils,
de délires et de deuils — ouvrait « à confiance bonne
chance », puis saluait les métamorphoses.
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Dits d'un voyage
2 / D
Vain est le vœu de croire.
En non-lieu fait lieu juste, vide plus plein que plénitude et
nulle fontaine n'y refusant nulle soif, les racines engendrent
les racines.
Un peuple, honorant l'éternel pourquoi (qui prouve, franc
d'astres, qu' « à la parfin vérité vainc »), m'associait à lui dans
l'extase. Il dansait, distinct du mouvement, au centre du cercle
initiatique : d'un cromlech de vair et d'hermine.
Comment franchir l'informulable ?
Formé de soi, d'autrui, du feu germant des bouches orantes,
chacun croissait ensemble dans la joie de l'AUCUN - et PERSONNE
jubilait en eux.
L'amour, issu de son énigme, ne cessant pas de s'offrir plus
avide, c'était en moi ruches d'abeilles à laines, parfums violets,
lynx magnifiant la menthe !
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