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Critique de Erik35


AMOUREUX D'UNE TERRE SAUVAGE.

Il y a quelques décennies, la regrettée Rose Laurens sortait ce tube, diffusée en boucle sur les radio "libres" enfin libérées de la censure des ondes "FM" :
Je suis amoureuse d'une terre sauvage,
Un sorcier vaudou m'a peint le visage!
Son gri-gri me suit au son des tam-tam
Parfum de magie sur ma peau blanche de femme!
Africa!

À peu de détails près, Mike Resnick, auteur du roman Paradis que nous avons eu le plaisir de découvrir par le biais de la Masse Critique "mauvais genres" du mois dernier et pour laquelle nous remercions tout à trac les excellentes éditions ActuSF ainsi que notre site bibliophile en ligne préféré, Babelio, Mike Resnick, écrivons-nous, aurait parfaitement pu reprendre ce célèbre couplet à son compte, à condition de le masculiniser et de transformer «Africa» par «Peponi» ! Resnick se cache d'ailleurs si peu de son subterfuge qu'il nous met immédiatement sur la piste africaine - kényane pour être plus précis - dès les premières lignes de son avant-propos.

Ainsi, le lecteur va-t-il suivre, au cours de cette "journée" de plus en plus crépusculaire - le récit se déroule en réalité au fil de plusieurs années. L'auteur pratiquant l'art de l'ellipse avec beaucoup de talent - l'histoire accélérée de la lointaine planète Peponi sur laquelle vivent diverses tribus d'une espèce "E.T." indigène, d'abord surnommés avec le plus grand mépris "Ouïe-bleue" par les premiers colons terriens, en raison d'une particularité physique, puis "Régis" - pour "Respectable Gentlemen Indigènes", ce qui est une manière plus subtile de se moquer, sous le fallacieux prétexte de leur donner un nom supposément neutre - et enfin "pépons" selon leur propre ultime décision, après que, grâce à leur grand homme et libérateur Buko Pepon, leur planète eut acquis, chèrement, son indépendance. 

C'est sous la plume d'un jeune chercheur, Matthew Breen, que le lecteur va peu à peu découvrir la (terriblement) rapide colonisation de la planète Peponi. Lui-même ne pensait nullement devenir l'un des plus grands spécialistes de cette terre lointaine mais sa rencontre avec l'un de ses premiers découvreurs blanc, un chasseur parvenu au seuil de la vieillesse nommé Hardwycke va le plonger, sa vie durant, à la recherche de ce véritable Paradis perdu. Sous sa plume, et au gré de ses rencontres (ce chasseur des premiers temps, des colons expatriés qui pleurent leurs terres et leur situation ultra-privilégiée à jamais disparues sans presque jamais se retourner sur les méfaits de leur présence là-bas, le premier "Grand Homme" autochtone de Peponi, Buko Pepon ; un peu plus tard, l'un de ses successeurs directs rencontré d'ailleurs tandis qu'il n'était encore qu'un conseiller parmi d'autres, quelques locaux blancs triés sur le volet), on va suivre avec beaucoup d'attention toutes les phases que le Kenya... pardon, Peponi connaîtra de sa "découverte" par les occiden... les terriens en passant par sa colonisation et sa domination écrasante par les britan... les instances de la République interplanétaire puis par la lutte pour l'indépendance - souvent dans le sang - menée avec force et détermination par les keny... les peponis eux-mêmes, jusqu'à l'état de ruine quasi générale dans laquelle cette planète se trouve, par la faute presque exclusive de cette colonisation sans vergogne mais aussi, comble de l'histoire, par les élites locales plus ou moins vendues ou bien à un clan dominant momentanément tous les autres, ou bien au dieu Argent, pour ne pas dire les deux à la fois. 

On assiste ainsi à la destruction d'un monde de l'intérieur (bien que procédant d'abord d'une pure intrusion), du fait d'une confrontation parfaitement inégale et sans partage entre la supposée "civilisation" (celle des terriens/européens de l'histoire) et les malheureux peponis dont il apparaît clairement que le mode de vie antique, pour imparfait qu'il était avant l'arrivée de ces étrangers (quel mode de vie le serait ?), correspondait pourtant parfaitement à cette planète aussi lointaine et belle que fragile, la pérennité de son biotope reposant sur un équilibre excessivement précaire et altérable entre tous les êtres y vivant originellement. Équilibre que l'arrivée de quelques dizaines de milliers de colons - pas forcément tous malintentionnés, il est utile de le préciser - a définitivement mis à mal et même probablement détruit pour jamais. 

En un peu moins de quatre cent pages - remarquons au passage que ce volume des éditions ActuSf publié dans la collection de poche "Hélios" rogne moins sur les marges que ce ne fut parfois le cas pour d'autres titres de la même collection, que sa police de caractère certes petite est toutefois agréablement lisible. Les habitués de la collection comprendront ces quelques remarques, assurément - Mike Resnick dresse un portrait sans fard ni concession, le lecteur de cette chronique l'aura bien entendu compris, du Kenya de ces deux derniers siècles. Paradis est, à ce titre, le premier volet d'une trilogie suivie d'un "Purgatoire" (la Rhodésie) ainsi qu'en toute logique, d'un "Enfer" (l'Ouganda) consacré, sous la forme de paraboles science-fictive, à cet est africain dont il était devenu tout à la fois un amoureux ainsi qu'un profond connaisseur. le procédé n'est sans doute pas nouveau et il faut bien admettre que le tout est cousu de fil blanc - même la faune de "Peponi" est une reproduction avec appelations originale de celle qui vit dans la savane kenyane : cuirassé pour éléphant, cornesabre pour rhinocéros, broutecime pour girafe et autres dos-argentés en lieu et place des gazelles - au point qu'on se demande parfois s'il n'eut pas été plus simple et efficace d'écrire un puissant roman réaliste consacré à cette terre que l'auteur aimait et respectait tant ? Mais Mike Resnick était auteur de SF et nul ne lui reprochera d'avoir tenté de sensibiliser ses lecteurs à la monstruosité coloniale par le biais de ce qu'il savait le mieux faire. Ce n'est peut-être pas aussi "percutant" - c'est notre point de vue - que l'aurait pu être un tel autre ouvrage, mais ça a le double intérêt de pouvoir toucher un public sans doute plus large qu'un crépusculaire roman traitant de ces moments sombres de notre histoire mondiale ainsi que de le faire sans rebuter a priori un public qu'un roman traitant de manière plus frontale ce sujet sensible. 

On peine cependant à adhérer totalement à l'ensemble - lequel se lit fort bien et, c'est presque un oxymore étant donné le sujet de fond, plutôt agréablement. Certes, on sera reconnaissant à l'auteur de ne pas donner dans le sensationnalisme voyeur et facile - ce qui eût été pourtant facilité par l'externalisation du sujet de l'Afrique réelle vers cette planète fantasmée - ainsi que d'éviter tout manichéisme facile. Il n'empêche que l'ensemble manque d'une énergie, d'une certaine forme de violence peut-être, pour donner à son propos - une critique acerbe et quasiment sans concession du fait colonial européen en Afrique - la force qu'il eût mérité. Un ouvrage à lire, sans doute, mais dont il ne faut pas non plus attendre plus qu'il n'en peut. 
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