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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2023 # 34 °°°

Bondy Nord, Seine-Saint-Denis. Sous l'autoroute A3, un carrefour monstrueusement invraisemblable, « deux bretelles qui rejoignent la N3, qui se détachent à trente mètres du sol, un no man's land en dessous, des carcasses de bagnoles, le camp de Roms au bord du canal. Et puis la barre d'immeuble de dix étages qui fait un S en suivant la courbe de l'autoroute, le nez dans les pots d'échappement, impossible d'ouvrir les fenêtres. » La veille, des coups de feu liés au trafic de drogue. Tôt le matin, une violente altercation entre un homme et un jeune qui s'apprête à rejoindre son lycée.

En général, je déteste les romans qui se déroulent dans des établissements scolaires et mettent en scène des élèves et des profs. Parce que je suis prof moi-même en banlieue parisienne. Parce que je tique sur des détails pas crédibles. Parce que je m'agace si l'auteur fait dans l'optimisme lunaire plein de bons sentiments. Parce que je m'énerve si l'auteur tombe dans le pessimisme et dézingue le système ( alors que je suis la première à le faire, mais j'aime pas quand ce sont les autres, chercher la logique ha ha ).

Cette fois, je n'ai tiqué sur rien, rien ne m'a agacé, rien ne m'a énervé. J'ai même adoré ce roman alors même que jusqu'à présent, les romans deThomas B. Reverdy ne m'avaient jamais convaincue plus que cela.

L'auteur est prof de français en Seine-Saint-Denis dans la vraie vie. Cela ne garantit évidemment pas un bon roman sur le sujet, mais assure a minima une certaine authenticité. Ce qui est sûr, c'est qu'il est parvenu à décrire toute la complexité du métier d'enseignant dans ces établissements dits « sensibles ». Il appelle un chat un chat, dénonce les dysfonctionnements avec finesse, sans manichéisme, renvoie gauche et droite à leurs échecs comme la création de ghettos scolaires et ethnicisés qui renvoient aux difficultés des quartiers dans lesquels ils sont implantés.

Mais avant d'être un prof qui parle des profs, Thomas B. Reverdy est un excellent écrivain qui manie les mots à merveille. Il sait construire des personnages qui font des choix, loin des clichés, il sait explorer l'humain : en quelques phrases, il parvient à les caractériser de telle sorte que le lecteur les identifiera sur un ou deux détails comme les bracelets dorées qui tintent sur poignets fins et les lèvres peintes en rouge de la professeure de français Candice ( magnifique personnage ). Difficile d'oublier Mo, le timide poète amoureux, le lycéen modèle qui se retrouve entraîné malgré lui dans le tourbillon des événements et de ses émotions.

Dans le huis-clos d'une journée au lycée, l'auteur a construit un récit totalement propulsif composés de courts chapitres s'achevant chacun sur une punchline qui claque, avec heure et le lieu indiqués. Ce chapitrage minuté épouse ainsi très organiquement la forme d'un emploi du temps scolaire. Se déploie ainsi l'implacable mécanique, celle de l'émeute, celle de la cocotte-minute qui fait monter la tension à coups de rumeurs, de publications des réseaux sociaux et d'esprits qui s'échauffent. On voit les fissures apparaître dans le sanctuaire que devrait être un établissement scolaire, les pressions extérieures s'y exercer … peut-être était-il possible à un moment donné de colmater avant le déchaînement de l'imprévisibilité et de sa violence.

Thomas B.Reverdy pose un vrai regard d'écrivain sur des faits de société mais son roman n'est ni un essai ni un documentaire ni un pensum. Son obsession n'est pas la réalité mais la justesse. Malgré la noirceur du constat, ce sont les éclats de beauté du récit qu'on retient, au détour d'une histoire d'amour naissant ou d'un esprit qui s'ouvre à la poésie. C'est tout l'effort contre le chaos urbain et sociologique que l'auteur semble combattre pour offrir un horizon collectif à ces personnages ainsi que les cartes du destin à rebattre.

J'ai refermé ce roman puissant, engagé et romanesque, très émue par la dernière image, une échappée de beauté et d'espoir tant que la poésie n'a pas quitté nos lycées de banlieue. En ces temps sombres pour l'éducation nationale, j'y ai trouvé du réconfort. Bref, un coup de coeur aux résonances très particulières.


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