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Critique de Alzie


Alzie
26 septembre 2018
Train et littérature ont toujours fait bon ménage. Voilà en parenthèse de lecture une très plaisante anthologie du rail. Un rendez-vous donné aux amateurs de trains et de rencontres insolites entre auteur(e)s. Anna de Noailles et Dekobra, quelques Pauls (Morand, Dermée, de Kock, Verlaine et Valéry), l'incontournable Cendrars, Miriam van Hee, Walt Whitman surprenant, de Jonckheere, Roubaud, Desnos, Queneau etc. Choix de textes poétiques ou extraits en prose cent pour cent ferroviaires, de 1837 au TGV d'aujourd'hui, en des registres très divers, du plus optimiste au plus sombre, qu'Anne Reverseau a rassemblés en sept thématiques et brefs chapitres illustrés (estampes, photographies, dessins ou croquis). A son avènement le rail eut ses adeptes enthousiastes dont Gautier manifestement ne faisait pas partie (Zigszags, 1845). Alfred de Vigny pressentait : "La distance et le temps sont vaincus. La science/Trace autour de la terre un chemin triste et droit./Le monde est rétréci par notre expérience/Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit./Plus de hasard chacun glissera sur sa ligne,/Immobile au seul rang que le départ lui assigne,/Plongé dans un calcul silencieux et froid." (La Maison du Berger, 1844). Dix ans après Walt Whitman rendra son plus bel hommage "A une locomotive en hiver" (Feuille d'herbe, 1855). Strindberg détestait dans un compartiment la promiscuité de tant d'inconnus et pour Pierre Loti le train était "quelque chose de laid, de noirâtre, de tapageur et d'idiotement empressé"(p. 24).

Le rail est ici à plusieurs vitesses : grande (Marinetti, Manifeste futuriste, 1909 ; Trains express, Emile Verhaeren, 1923) ou petite, souvent porteuse d'éloge et de promesse (Tortillards, Maurice Fombeure, 1942). On le sait bien le rail aime évidemment la nuit : les trains y filent ou y restent bloqués ; là une avalanche en pleine montagne entre France et Espagne (Pierre Louÿs, La Femme et le pantin, 1898) ; là une nuit de luxe dans le Nord-Express avec Valéry Larbaud. Mais le Noir est synonyme de tragédie pour d'autres (Henri Bataille, 1916) et de désastres. Un poème d'Amédée Pommier (1844) et une estampe gravée (reproduite), évoquent la première catastrophe meurtrière de l'histoire du chemin de fer, à Meudon sur la ligne Versailles rive gauche/Paris, le 8 mai 1842. La félicité est totale en revanche pour Charles Cros qui s'exclame : "Peut-être le bonheur n'est-il que dans les gares !" (1873). Dans Alcools Apollinaire en appelle aux souvenirs : "Te souviens-tu de l'orphelinat des gares/ [...]Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages ?" Quelques morceaux cocasses, de fantasmagories, ou d'autres caustiques sur les trains internationaux (Richard Minne, 1927). Le défilement du paysage le nez contre la vitre est une autre source d'inspiration : Italo Svevo, 1928 ou François Bon dans le Paris - Nancy, en 2003.

Quelques retrouvailles de lecture font sourire : l'influence des sifflements du Paris/Sceaux sur un fantasme de des Esseintes (A Rebours) ; ou bien le jeune narrateur courant d'une fenêtre à l'autre de son compartiment à la Recherche de "sa bande de ciel rose" (Proust, A l'ombre des Jeunes filles en fleurs). Dans le frisson des départs et le désordre des arrivées que de pas perdus et de minutes comptées, de mouchoirs agités et de trains manqués ! Mais traverse ce parcours l'esprit d'un rail parfois nettement méditatif : il semble à Paul Valéry quittant la Hollande "que le Temps commence ; le Temps se met en train, le train se fait modèle du temps [...]" (Variété II, 1930) ; de même Philippe de Jonckheere évoque t-il dans un superbe texte "l'accident de personne" brutal qui maintient son train en arrêt sur la voie ("A quoi tu penses", 2008, p. 43). Inconditionnelle des trains et des anthologies j'aimais sans doute ce livre avant de l'avoir lu. Par son sujet "Sur les rails" pouvait prendre la forme d'un "beau livre". L'invitation au voyage est ici d'un rang plus modeste bien que somptueusement empanachée. Format ramassé, "ligne" généraliste et un je ne sais quoi de sans façons, très attractif, dans l'imagerie des premiers temps héroïques. S'il ne reste plus au regard d'aujourd'hui que la courbe sexy et dépouillée des TGV fendant les paysages ce recueil prouverait que la littérature continuera probablempent longtemps à s'aggriper à leurs flancs. Merci aux Impressions Nouvelles et à babelio pour cet envoi express.


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