AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JerCor


Court essai sur la crise sanitaire actuelle. Souvent présenter l'essai écrit sur le vif sur la crise sanitaire actuelle le plus pertinent, il témoigne d'une bonne dose de lucidité malgré quelques travers regrettables.



Quel contexte ?

Olivier Rey ouvre son propos par un parallèle avec le XVIIème siècle. Les famines s'y succédaient sans que le pouvoir royal ne soit jamais mis en cause. Dans l'esprit des gens, ces tragédies étaient imputables à la nature, à de mauvaises conditions climatiques, mais le Roi n'avait rien à voir là-dedans !

Ce n'est seulement qu'à partir du XVIIIème siècle, lorsque l'administration royale se préoccupa de prévenir et atténuer les famines en comptabilisant les ressources qu'une tendance dans l'opinion se profila : « une propension à considérer qu'un défaut de subsistance est imputable gouvernement. Apparut l'idée, lorsque le pain venait à manquer, que ce manque était le résultat d'un 'complot de famine' » (p6).

Bref, au XVIIème siècle, les gens mouraient et on trouvait ça normal. Mais depuis que le Roi s'en est mêlé, il s'en retrouve accusé.

Certes le propos de Rey n'est pas de dire qu'on devrait tout également se contreficher aujourd'hui des famines, des épidémies, etc. Pour autant, l'auteur se garde de préciser qu'aujourd'hui le contexte économique n'est plus le même. Selon le sociologue suisse Jean Ziegler, l'humanité est aujourd'hui capable de nourrir 12 milliards d'êtres humains. Par conséquent, ainsi qu'il l'affirme, « un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné » 1.



« C'est ainsi : plus le pouvoir central porte secours aux citoyens, plus ceux-ci sont enclins à lui reprocher les maux dont ils souffrent » (p8). En réalité donc, Olivier Rey pointe la non responsabilité de l'État en matière d'alimentation. Ce qui se discute, effectivement.



L'Etat, tête de turc ?

Mais dans le fond, ce que vise Olivier Rey c'est la propension des gens à rendre responsable l'Etat de tous les maux dont ils sont accablés.

Selon lui, le problème est que les gens sont trop naïfs et croient l'État tout-puissant. On ne pourrait qu'être d'accord, s'il n'y avait pas cet arrière-fond moralisateur 2.



Revenant à la crise sanitaire qui nous préoccupe, Olivier Rey évoque le plan gouvernemental de 2006 de prévention et de lutte ''pandémie grippale''. Il fait pertinemment remarquer que celui-ci prévoyait des masques uniquement pour le personnel hospitalier, le reste de la population devant porter des masques en tissu lavables et réutilisables. Un détail qui a son importance et qui est rarement souligné. Car, depuis le début, si on accuse l'État de n'avoir pas refait les stocks, c'est pour se plaindre que ceux-ci font cruellement défaut à la population entière, et non au seul personnel hospitalier.

Olivier Rey renchérit :

« Un gouvernement de bon aloi aurait reconnu cette carence et appliqué, du moins, la part du plan qui était applicable, en préconisant à tous le port de masque en tissu confectionné avec les moyens du bord. Au lieu de quoi le gouvernement estimant que, dans la difficulté, il fallait renchérir dans les affections de toute-puissance, prétendit jusqu'à l'absurde qu'il dominait la situation, que tout était sous contrôle, et pour ne pas admettre le moindre manque, préféra prétendre contre tout bon sens que les masques ne servaient à rien » (p10).



Jusqu'ici, on est parfaitement d'accord : l'attitude du gouvernement Macron a été de surenchérir dans l'affection de toute-puissance que les citoyens attendent d'un État.



Mais là où le propos devient relativement malséant, c'est lorsque, par exemple, l'auteur émettant l'hypothèse que si le gouvernement avait commandé des milliards de masques, il affirme que les gens « se seraient indignés, la bave aux lèvres [sic !], qu'on aille engloutir les deniers publics… » (p10).

Une tournure de phrase cynique et méprisante qui, à mon sens, jette un doute sur l'intention de l'auteur.



Que le polémiste se moque des gens qui attendent tout de l'État-providence, y compris des masques, soit. Mais il est regrettable (et peut-être significatif ?) qu'il ne parle pas des nombreuses initiatives spontanées de confection et distribution gratuite desdits masques, certaines réprimées par la police (8 mai 2020, Paris XVIIIe).



Sur cette histoire de masque toujours, Olivier Rey pointe une autre raison :

« Il est vrai également qu'en appeler à la fabrication artisanale eut été contraire à tous les principes de l'économie moderne [...] qu'arriverait-il si les gens reprenaient l'habitude, au lieu d'être sans cesse fournis, de faire des choses par eux-mêmes ? » (p11).

Cela rejoint les propos d'Ivan Illich qui démontre dans Valeurs vernaculaires (1980) comment la domination étatique s'est développée sur les ruines de l'auto-subsistance, comment elle a détruit toute autonomie populaire pour lui substituer son omniprésence.


Autre passage problématique : réagissant au slogan du personnel hospitalier - '' le gouvernement compte ses sous, nous compterons les morts '' - Olivier Rey écrit :

« Comme si le gouvernement avait des sous bien à lui, qu'il gardait égoïstement pour son usage propre, comme si les sous dont il disposait n'étaient pas ceux de la nation. A titre personnel, je peux trouver certains choix du gouvernement mauvais, mais il ne me viendrait pas à l'esprit de lui reprocher de compter les sous : c'est bien le moins qu'on puisse attendre de ce qu'ils ont en main le porte-monnaie du pays » (p17).



Passage qui relève tout autant d'une affligeante naïveté que d'une rhétorique véritablement odieuse !

Naïveté : parler des « sous de la nation ». J'ignore s'il s'agit là de vieux relents de cours d'éducation civique des années 80 mal digérés ou d'une sorte d'humour plus qu'hasardeux. Non, l'argent public, une fois collecté, n'est pas remis à la Nation, mais à l'État qui le redistribue ensuite (ou non) à sa discrétion. Ce n'est jamais la Nation toute entière qui va décider collectivement de l'utilisation de ces sommes. Olivier Rey, dans son obstination pour exempter le Gouvernement de toute responsabilité, se pare de termes faussement neutres.

Bassesse : peut-on feindre de ne pas voir là une insulte envers le personnel soignant ?

Bien sûr que si, le gouvernement compte ses sous mais seulement quand il s'agit des services publics ! A l'inverse, il dépense sans compter en faveur des grandes entreprises, des milliardaires… Là est la critique portée par les personnels soignants, mais là-dessus pas un mot d'Olivier Rey.

Il y a là une bataille politique que l'auteur, derrière sa rhétorique moralisante, élude totalement.

Et en l'occurrence, je ne suis pas convaincu qu'il y ait quelque chose de « naïf » à exiger que nos impôts servent à protéger la population (acquisition et distribution de masques) plutôt qu'à une vorace minorité « qui frôle l'inexistence statistique » 4. Feindre d'oublier les milliards distribués à Renault, Air France, etc, pour gronder les soignants parce qu'ils osent réclamer des moyens (rappelons qu'on en est quand même arrivé à ce que Decathlon fournisse des masques de plongée ! 5), en ne disant pas un mot sur les conditions difficiles dans lesquelles les soignants exercent (comme si cela était une situation viable pour le personnel !), relève de la fourberie pure et simple, pour rester poli.

La suite sur le Blog Philo-Analysis
Lien : http://philo-analysis.over-b..
Commenter  J’apprécie          100



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}