Retromania

La culture Internet et MP3 a simultanément amplifié et sapé la notion tout entière de savoir secret. Aujourd'hui, moyennant relativement peu de temps, d'argent et d'efforts, n'importe qui est en mesure de se constituer une gigantesque collection musicale et d'accéder à une expertise en la matière. Les facteurs dissuasifs qui existaient par le passé - les limites de l'espace habitable et des revenus - ont disparu, ouvrant encore un peu plus les portes de la collectionnite obsessionnelle.

Lost in the Shuffle, p. 140

Internet assied côte à côte le passé lointain et le présent exotique. Accessibles de la même manière, ceux-ci se confondent en une seule et même entité : lointaine, mais proche... ancienne mais actuelle.

Nous sommes nos disques : ils représentent une partie significative de notre passage en ce monde.

Les nerds ne tirent pas un trait sur l'autorité ; ils deviennent des autorités par le biais de leur goût et de leur expertise culturelle. Ils consacrent leur énergie à la découverte de disques obscurs et à l'accumulation d'un savoir ésotérique.

Remarquez, selon Walter Benjamin, grand philosophe du XXe siècle spécialisé dans la collection, le feuilletage et ce que nous appellerions aujourd'hui le shopping vintage, ne pas lire est la marque de tout bibliophile sérieux ; il cite Anatole France, qui admettait volontiers n'avoir lu qu'un dixième des livres de sa bibliothèque.

Mais les mutations les plus marquantes sont celles qui ont touché nos modes de consommation et de distribution, et celles-ci ont encouragé l'escalade de la rétromania. Nous sommes désormais à la merci de notre capacité croissante à stocker, organiser, accéder instantanément aux données culturelles et les partager en grandes quantités. Si l'on n'avait jamais vu une société autant obsédée par les objets culturels de son passé immédiat, sa faculté d'accéder aussi facilement et copieusement à ce passé est elle aussi inédite.

J’ai beau avoir, en tant que journaliste, écrit sur des musiques qui nous entrainent vers de “nouvelles frontières”, comme la rave et l’electronica, et avoir consacré un livre tout entier à ce mouvement indissociable du futurisme qu’est le post-punk, je participe activement à la culture rétro : en tant qu’historien, chroniqueur de rééditions, intervenant dans les documentaires sur le rock et auteur de notes de pochettes. (p. 21)