Citations sur Paroles d'un monde difficile : Poèmes 1988-2004 (8)
Equinoxe
Extrait 2
Ainsi puis-je dire que ce n'était pas moi fichée comme
l'Innocence qui te trahis servant (en protestant toujours)
les desseins de mon gouvernement
pensant que nous arriverions à construire un lieu
où la poésie vieille forme subversive
pousse de Nulle part ici?
où la peau pourrait reposer sur la peau
un lieu « hors limites »
Peux dire que je me suis trompée ?
Être si meurtrie : dans les organes écheveaux de la
conscience
Encore et encore avons laissé faire
du mal aux autres broyant le noyau de l'âme
cet ego à la tonalité sourde libéré, essaimant dans le monde
si meurtri : cœur spleen longs rubans enflammés
des intestins
le collier vertical de l’épine dorsale oscillant
Avons laissé essaimer
en nous laissé advenir
comme cela se doit, au plus profond
mais avant ceci : longtemps avant ceci ces autres yeux
frontalement se sont exposés, ont parlé
2001
/traduit de l’anglais (États-Unis) par Chantal Bizzini,
Je n'ai pas de théories. J'ignore ce qu'on me pardonne. Je suis mon art : je le fais de mon corps et des corps qui ont produit le mien. J'en suis encore à chercher le langage pictural apte à exprimer cette colère et cette peur qui tournent autour d'un axe d'amour.
En tant que femme, je n'ai pas de pays. En tant que femme, je ne désire pas de pays. En tant que femme, mon pays est le monde entier.
Cartographies du silence
un.
Une conversation commence
par un mensonge. Et les
Les locuteurs du langage commun convenu ressentent
la rupture de l'iceberg, la distanciation
aussi impuissant, érigé devant
une force de la nature
Un poème peut commencer
par un mensonge. Et être déchiré.
Une conversation a des lois différentes et se
recharge avec les siennes
fausse énergie. Il ne peut pas être
brisé. Il s'infiltre dans notre sang. Il se répète.
Il inscrit l'
isolement avec son aiguille de non-retour tout en le niant.
deux.
La station de musique classique
joue heure après heure dans l'appartement
le fait de décrocher et de décrocher
et de reprendre le téléphone
Les syllabes prononçant encore et encore
l'ancien script
La solitude de celui qui est
installé dans le complexe formel du mensonge
tordant les airs pour noyer la terreur
qui se cache sous le mot tacite
3.
La technologie du silence
Rituals, labels
le brouillage des termes
silence pas absence
de mots ou de musique ou même
de sons grossiers
Le silence peut être un plan
rigoureusement exécuté
le plan d'action pour une vie
C'est une présence il
a une histoire une forme
Il ne doit être confondu
avec aucune sorte d'absence
Quatre.
Comment serein, combien
ces mots commencent à paraître inoffensifs
toujours né de la douleur et de la colère,
je peux parcourir cette feuille d'abstraction
sans me blesser ni toi
il y a assez de douleur dans cet endroit
Est-ce pourquoi les stations de musique classique et jazz sonnent?
Pour donner un sens à notre douleur?
5.
Le silence est nu:
Dans la p assion Jeanne d'Arc , Dreyer
Le visage de Falconetti, les cheveux rasés, une grande géographie
parcourue en silence par la caméra scrutatrice
S'il y avait une poésie dans laquelle cela pourrait se produire,
pas avec des espaces ou des mots vides
se répandre comme une peau sur les significations alors
que le silence tombe à la fin
d'une nuit que deux personnes ont traversé en
parlant jusqu'à l'aube
6.
Le cri
d'une voix illégitime
Elle a cessé de s'entendre, alors
elle se demande
Comment est-ce que j'existe?
C'était le silence que je voulais briser en toi
j'avais des questions mais tu n'allais pas y répondre
J'avais des réponses mais tu n'allais pas les utiliser
C'est inutile pour toi, peut-être pour les autres aussi
7.
C'était un vieux thème même pour moi: la
langue ne peut pas tout faire -
écrit à la craie sur les murs où des poètes morts
gisent dans leurs mausolées
Si au gré du poète le poème
pouvait devenir une chose
une jupe de granit nue, une tête relevée
et éclairée par la rosée
Si je pouvais juste regarder ton visage
les yeux nus, sans te laisser te retourner
jusqu'à ce que toi et moi, j'ai hâte d'y parvenir, nous avons
réussi à clarifier ensemble dans ses yeux
8.
Non, laisse-moi garder cette poudre
ces nuages pâles tenus difficilement, ces mots
se déplaçant avec une précision féroce
comme les doigts d'un enfant aveugle
ou la bouche d'un nouveau-né
avec la violence de la faim
Personne ne peut me donner,
j'ai longtemps assumé la méthode
pour éviter le déversement de ce sac de tissu lâche
ou la flamme du briquet, devenez faible et bleu
Si de temps en temps j'envie
les pures énonciations du regard
la visio béatifie
si de temps en temps j'ai envie de me transformer
comme le hiérophante d'Eleusis
tenant un seul épi de blé
pour retourner au monde concret et éternel
ce que je continue de choisir
sont ces mots, ces chuchotements, ces conversations
d'où jaillit encore et encore la vérité, humide et verte.
Traduction de l'anglais par Adrián Viéitez .
Equinoxe
Extrait 1
Le temps se fend comme un fruit, entre obscurité et lumière
et une brume habituelle traîne
au dessus de cette étendue
j'ai parcouru septembre de bout en bout,
pieds nus, de pièce en pièce
portant à la main un couteau bien aiguisé pour couper tige
ou racine
ou mèche les yeux ouverts
aux coquilles d'abalone flammes des bougies commémorati
ves citrons fendus roses couchées
le long de poutres se carbonisant Choses belles
: acres mornes de pays développé à l'image de son nom : Nulle part
marécages détritus brûlés menaçants en son cœur
orbite métal d'arme sang bleu de minuit et
masques mystifiants je croyais savoir
que l'histoire n'était pas un roman
…
2001
/traduit de l’anglais (États-Unis) par Chantal Bizzini,
Un automne sans gelée meurtrière jusqu'alors, encore chaud
donne l'impression d'une époque de mépris de soi-même, le souvenir d'avoir dépassé
les limites pendant sa jeunesse, ce jeu compliqué d'une innocence depuis longtemps échue.
PLONGÉE DANS LE NAUFRAGE
Après avoir lu le livre des mythes, chargé l’appareil photo,
et vérifié le tranchant du couteau, j’ai revêtu
l’armure de caoutchouc noir
les palmes absurdes
le masque grave et malcommode.
Je dois le faire,
non comme Cousteau et son
équipe zélée
à bord du schooner inondé de lumière mais ici, seule.
Il y a une échelle.
L’échelle est toujours là
qui pend innocemment contre le bord du schooner. Nous savons à quoi elle sert, nous qui l’avons utilisée. Sinon c’est aussi
une pièce de floche marine un article quelconque.
Je descends.
Barreau après barreau et l’oxygène
me submerge encore
la lumière bleue
les atomes limpides
de notre atmosphère.
Je descends.
Mes palmes m’handicapent,
je descends de l’échelle en rampant comme un insecte et il n’y a personne
pour me dire quand l’océan
va commencer.
D’abord l’air est bleu et puis
devient plus bleu, puis vert et puis
noir je m’évanouis dans ce noir
mon masque est fort
il pompe mon sang avec force
la mer, c’est une autre histoire
la mer n’est pas une question de force je dois apprendre seule
à faire pivoter mon corps sans violence dans l’élément profond.
Et maintenant, il est facile d’oublier pourquoi je suis venue
parmi tant d’êtres qui ont toujours vécu ici
agitant leurs éventails crénelés entre les récifs
d’ailleurs
1
on respire différemment ici-bas.
Je suis venue pour explorer l’épave.
Les mots sont des intentions.
Les mots sont des cartes.
Je suis venue pour constater les dommages et les trésors qui prévalent.
Je caresse le rayon de ma lampe lentement le long du flanc d’une chose plus permanente qu’un poisson ou qu’une algue
j’étai venue pour cela :
le naufrage et non l’histoire du naufrage
cela même et non le mythe
le visage noyé regardant toujours
vers le soleil
l’évidence des dommages
usé par le sel et le balancement pour cette beauté râpée les membrures du désastre
arrondissant leur témoignage
parmi ceux qui rôdent timidement.
C’est bien ici.
Et j’y suis, l’ondine dont la chevelure sombre coule noire, l’ondain dans son corps en armure nous tournons silencieusement
autour de l’épave,
nous plongeons dans la cale.
Je suis elle : je suis lui
dont le visage noyé dort les yeux ouverts
dont les seins portent encore la contrainte
dont la cargaison d’argent, de cuivre et
de vermeil repose
obscurément dans des tonneaux
à demi enfoncés et abandonnés à la rouille nous sommes les instruments à demi détruits qui autrefois indiquions une direction
les bûches mangées par l’eau
le compas faussé
Nous sommes, je suis, vous êtes par lâcheté ou courage
celui qui trouve son chemin
de retour vers cette scène
muni d’un couteau, d’un appareil photo, d’un livre de mythes
où
nos noms ne figurent pas.
1972
PLONGÉE DANS LE NAUFRAGE
Après avoir lu le livre des mythes, chargé l’appareil photo,
et vérifié le tranchant du couteau, j’ai revêtu
l’armure de caoutchouc noir
les palmes absurdes
le masque grave et malcommode.
Je dois le faire,
non comme Cousteau et son
équipe zélée
à bord du schooner inondé de lumière mais ici, seule.
Il y a une échelle.
L’échelle est toujours là
qui pend innocemment contre le bord du schooner. Nous savons à quoi elle sert, nous qui l’avons utilisée. Sinon c’est aussi
une pièce de floche marine un article quelconque.
Je descends.
Barreau après barreau et l’oxygène
me submerge encore
la lumière bleue
les atomes limpides
de notre atmosphère.
Je descends.
Mes palmes m’handicapent,
je descends de l’échelle en rampant comme un insecte et il n’y a personne
pour me dire quand l’océan
va commencer.
D’abord l’air est bleu et puis
devient plus bleu, puis vert et puis
noir je m’évanouis dans ce noir
mon masque est fort
il pompe mon sang avec force
la mer, c’est une autre histoire
la mer n’est pas une question de force je dois apprendre seule
à faire pivoter mon corps sans violence dans l’élément profond.
Et maintenant, il est facile d’oublier pourquoi je suis venue
parmi tant d’êtres qui ont toujours vécu ici
agitant leurs éventails crénelés entre les récifs
d’ailleurs
1
on respire différemment ici-bas.
Je suis venue pour explorer l’épave.
Les mots sont des intentions.
Les mots sont des cartes.
Je suis venue pour constater les dommages et les trésors qui prévalent.
Je caresse le rayon de ma lampe lentement le long du flanc d’une chose plus permanente qu’un poisson ou qu’une algue
j’étai venue pour cela :
le naufrage et non l’histoire du naufrage
cela même et non le mythe
le visage noyé regardant toujours
vers le soleil
l’évidence des dommages
usé par le sel et le balancement pour cette beauté râpée les membrures du désastre
arrondissant leur témoignage
parmi ceux qui rôdent timidement.
C’est bien ici.
Et j’y suis, l’ondine dont la chevelure sombre coule noire, l’ondine dans son corps en armure nous tournons silencieusement
autour de l’épave,
nous plongeons dans la cale.
Je suis elle : je suis lui
dont le visage noyé dort les yeux ouverts
dont les seins portent encore la contrainte
dont la cargaison d’argent, de cuivre et
de vermeil repose
obscurément dans des tonneaux
à demi enfoncés et abandonnés à la rouille nous sommes les instruments à demi détruits qui autrefois indiquions une direction
les bûches mangées par l’eau
le compas faussé
Nous sommes, je suis, vous êtes par lâcheté ou courage
celui qui trouve son chemin
de retour vers cette scène
muni d’un couteau, d’un appareil photo, d’un livre de mythes
où
nos noms ne figurent pas.
1972