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Critique de Tel_Gael_Libertin


Lorsque Les saisons de Giacomo s'est retrouvé entre mes mains, je me suis sentie hésitante et intimidée. Je n'avais jamais lu de Rigoni Stern et pourtant, je le connaissais déjà si bien ! Allais-je retrouver sa voix teintée de neige alpine qui se mêlait à celle de mon père, ces soirs d'enfance où, avant de nous coucher, mon frère et moi avions le droit à quelques pages narrant les exploits des chasseurs-alpins, la misère infiltrant les chaumières cimbres et le réconfort de la polenta grillée ?

Eh bien, oui. Propulsée dans les montagnes du Sud-Tyrol dans les années 20, je m'installe à la table de Giacomo qui vit avec sa mère, sa soeur et sa grand-mère. Son père est encore en France, travaillant comme manoeuvre dans les mines lorraines. Mon arrivée dans la famille est facilitée par ce singulier narrateur, extérieur mais non omniscient, distant et d'une pudeur rare : jamais, au grand jamais, il ne se permet de pénétrer l'esprit des personnages pour en dévoiler les pensées.

La dure réalité de la vie des montagnes du Haut-Adige fait du petit Giacomo un enfant rusé, plein de ressources et de rêves. Rêves de cinéma, rêves de chevaux qui galopent plus vite que le vent, rêves de glissades enneigées … rêves d'adolescent, blancs et purs, immédiatement éraflés par la griffe du Parti fasciste. Giacomo s'engage dans les Balilla très jeune en échange de l'uniforme, de chaussettes chaudes et surtout, d'une paire de skis avec lesquelles il dévale la colline des Laiten avec ses compagnons insouciants.

C'est alors que la petite histoire de Giacomo et de sa famille croise la grande Histoire. Page après page, saison après saison, à mesure que les hommes et les femmes luttent contre la misère redoublant de malice pour survivre, le Parti national fasciste s'insinue dans la communauté jusqu'à devenir indispensable. Subrepticement, subrepticement, le parti du Duce confisque la plupart des postes jusqu'à devenir le seul employeur dans les montagnes. L'alternative est dangereuse : ceux qui ne souhaitent pas s'encarter se font récupérateurs. Arpentant les montagnes, ces trompe-la-mort fouillent le passé sanglant de la Première Guerre Mondiale, y trouvent cartouches et munitions à revendre, cadavres non identifiés et parfois quelque obus encore tout prêt d'éclater. Plus d'un récupérateur n'a jamais été récupéré. Et la mention « porté disparu » que leur affublent les autorités est une source d'angoisse pour les familles. En grandissant, Giacomo excelle à cette tâche périlleuse mais je comprends aisément que d'aucuns préfèrent un emploi plus calme quoique contrôlé par l'oeil acerbe du Duce.

La plume de Stern est douce, d'une douceur fatale, d'une douceur violente : les saisons passent, les hommes et les femmes se débattent pour survivre, beaucoup meurent et le Parti ne s'en émeut pas. J'ai envie de secouer le narrateur, de lui crier de se réveiller, de l'enjoindre de faire quelque chose. Pourquoi cette neutralité accablante ? Mais je finis par comprendre. La démarche de Stern donne une portée plus vaste à son ouvrage en nous rappelant que la famille de Giacomo peut aussi bien être celle de Nino que de Matteo ou bien de Mario ou Matteo … Et puis, c'est bien l'union de la distance narrative et de l'écriture douce et froide qui fait l'oeuvre. Elle semble imiter l'infiltration insidieuse du fascisme en Italie, mettant au jour les agissements du podestat qui grignotent peu à peu la vie des hommes tout en endormant la moindre révolte. Subrepticement, subrepticement… Je m'y suis laissée prendre. Et je ne sors de cette lecture que plus révoltée que par le discours antifasciste le plus péremptoire.

Je frémis d'autant plus en refermant le livre que je songe que mes ancêtres ont vécu ces ignominies. Les tranches de vies du Haut-Adige sont si proches de celles que me conte parfois ma grand-mère. Il faut dire que les cimbres sont voisins des frioulans et que la polenta, aussi bien que la soupe, ont le même goût dans ces deux régions. Je comprends alors ce cadeau de mon père : je sens entre ces pages la présence d'un grand-père que je n'ai jamais connu et jamais je ne m'en suis sentie aussi proche. À l'heure où j'écris ces lignes je ne suis plus bien sûre du titre : était-ce « Les saisons de Franco » ?

Chronique complète en cliquant sur le lien de mon blog.
Lien : http://grosser-garten.over-b..
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