la France vaincue de 1870 pourrait, pensait-on, reconstituer ses forces physiques et morales au-delà des mers, y trouver un jour le secours des vaillants soldats colorés qui l’aideront à vaincre l’Allemagne, y affermir sa voix dans le concert des nations.
Au temps de Jules Ferry, une minorité avait promis que les colonies conforteraient et universaliseraient trois valeurs intrinsèquement tricolores et à jamais républicaines : l'échange économique et le progrès matériel, la puissance réactivée, la civilisation pour tous.
Ce qui surtout fut ignoré en métropole, c’est la part de violence coloniale que cette guerre réactivait ; la part aussi de violence proprement algérienne et postcoloniale que l’Algérie indépendante révélera aussi après 1962 et qu’on vit reprendre en 1993 ou être convoquée au printemps de 2011. Comme si toute l’histoire contemporaine de l’Algérie baignait dans une violence aux eaux mêlées.
Certains pensent encore aujourd’hui qu’un tel choc de « civilisation » porteur de violences survient à l’occasion de toute rencontre brutale entre l’Orient « ancien » et l’Occident « moderne ». Est-ce si sûr ? N’oublions pas que le Maghreb ne fut jamais un Machrek et qu’il ne l’est toujours pas aujourd’hui. Ni que l’Afrique romaine mélangeait déjà les hommes et les dieux. Ni, surtout, qu’entre ces deux terres, de Marseille en Alger, s’étale « mère » Méditerranée.
le conflit mondial de 1939-1945 a été tenu pour émancipateur à terme, l’émigration massive (quatre cent mille Algériens travaillent alors dans des usines et des chantiers de métropole), la révolution économique et urbaine importées, via Alger, Constantine et Oran, ont fait voler un peu plus en éclats la société algérienne traditionnelle, broyée par ces tendances lourdes de la modernité et de l’échange, alors que sur place rien ne changeait politiquement et culturellement. L’impuissance coloniale a ainsi conduit une Algérie schizophrénique au bord de l’implosion.
L'eurocentrisme à la française, de fait, a bouché l'horizon et a fait dénier toute singularité au colonisé, nier la violence de sa mise en tutelle sous prétexte d'universalisme bien entendu, c'est-à-dire profitable d'abord aux puissances européennes. Le francocentrisme à géométrie hexagonale, constant lui aussi, a réduit les enjeux coloniaux à ceux de la seule métropole. L'égoïsme national a primé.