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Critique de Pitchval


Je n'ai pas pour habitude de parler de l'objet livre. En règle générale cela m'importe peu. le livre ne m'est rien en ce qu'il est une copie, un duplicata de l'oeuvre. Il peut être comparé aux répliques de tableaux que l'on trouve sur les calendriers par exemple. J'écris dans un livre, j'en corne les pages et je le souille parfois de thé ou de café. N'importe, c'est mon exemplaire, une photocopie en somme. Et même : plus l'un de mes livres est endommagé, plus je l'ai aimé (touché, annoté, promené). Cependant je dois reconnaître que cette édition me plait. Un format peu commun, une couverture d'une belle élégance, déjà de l'art. Un contenant raffiné pour un superbe contenu. Une belle alliance, un écrin pour un bijou.
Pour l'anecdote, nous avons, avec l'auteur, eu un petit différent il y a deux ou trois ans, lequel nous a conduits à « rompre » net sur Facebook. Mais puisque je lis Matzneff et que je regarde les films de Polanski, je n'allais pas me priver d'une bonne lecture pour un désaccord mineur. C'est donc sans hésitation que je lui écrivis à nouveau, après deux années sans contact, pour lui commander son livre. (J'avais dû vouloir le faire dès le commencement et puis j'ai oublié. C'est en relisant la critique de la Chair sur Stalker que j'y ai pensé à nouveau). Et c'est en gentleman qu'il reçut mon message et m'adressa l'ouvrage, qu'il dédicaça même (certes au nom de mon mari, sans doute un affaire de compte bancaire, mais n'importe). Ah, je m'aime quand je ne laisse pas mes passions influer sur mes choix de lecture ! Je serais passée à côté d'une belle oeuvre, c'est dit. Tant que je crains beaucoup que ma critique soit assez piètre, n'en dise pas assez ou au contraire encense de manière ridicule.
Ce style ! Précis, méticuleux, travaillé, soigné. Voilà une écriture mâle et vigoureuse. C'est même parfois un peu agressif, ou plutôt brutal : un style qui remue, secoue, fait l'effet d'un coup de poignard parce que… j'en suis environ incapable. On n'admire pas qui l'on peut aisément égaler, mais ce qui nous est supérieur. Et Serge Rivron a écrit un roman tout à fait admirable. Chaque phrase, chaque mot est comme une fulgurance, une réjouissance. Serge Rivron est pour sûr un véritable écrivain, laborieux, artiste, professionnel.
Je me suis souvent indignée du manque de « beauté » des scènes de sexe dans les romans. Eh bien, je n'avais pas lu La Chair ! Ah, c'est fin ! Raffiné même. C'est savoureux comme, justement, une performance sexuelle, un peu luxueuse, un peu rare. de celles que l'on pratique en bas noirs et dentelles, et dans des draps de soie.
La Chair, donc. le péché qui lui est associé autant que les délices qu'elle apporte. La Chair est probablement amorale au fond. Comment ce qui est un apport de suprêmes réjouissances de corps et d'esprit pourrait être à la fois un mal ? Et d'ailleurs, un mal pour qui et pour quoi ? Non, les plaisirs de la chair sont divins, délicieux. Les obscénités sont une vitalité. le sexe est à la fois le moment de l'abandon et du contrôle absolu de sa virilité/féminité. Et c'est incessant, perpétuel : temporairement rassasié, on y revient encore et toujours, inventant de nouvelles façons d'orgasmes et de nouveaux plaisirs. C'est un tourbillon, une orgie de tête et de corps. le sexe ne quitte pas vraiment l'homme, ou alors provisoirement. le roman est ainsi fait : on y vient, on y revient, on en veut encore. On le termine et bien qu'ayant ressenti une vive jouissance tout du long, c'est à peine si l'on est épuisé. On recommencerait bien sur-le-champ.
Rivron envoie l'amour romantique dans les cordes, le balaye, l'écrase d'un revers de plume. Non, ça ne vaut rien environ. C'est la Chair, la sexualité bestiale qui prime, qui rapproche, qui lie un temps. L'homme est beau dans ses brutalités, dans l'expression de sa toute-puissante virilité. Il humilie autant qu'il fait jouir, tout comme ce roman m'a humiliée d'écriture autant qu'il m'a apporté de plaisir de lecture. Et ce n'est pas que beau, que littéraire. Ce n'est pas une pornographie de tête ni de salon. La puissance évocatrice est forte. Rivron excite au surplus de subjuguer. Double réussite. Roman fournaise, mais une fournaise raffinée, celle offerte par un amant délicat. Beau et affolant.
La Chair, d'ailleurs, c'est ce que son personnage réussit le mieux. Il jouit et fait jouir. le reste, c'est environ le néant : fils de personne, ou plutôt fils de Marie, né sans père, se bornant à vouloir écrire un roman qu'il n'achève pas, Michel erre dans la vie, divague, devient fou de ne pas vouloir croire au miracle de sa naissance. Imaginons un Jesus qui aurait cru que sa mère, la sainte Marie, avait failli, qu'elle mentait depuis le début, qu'il était fils d'un amant de passage. Et pas même celui de Joseph. Non, le fils de personne, la résultat de la Chair, le rejeton d'une giclée de sperme anonyme.
Et les femmes, quelles femmes ! La bourgeoise bien mariée se laisse enivrer, posséder par la chair, quitte tout pour le sexe et quitte encore quand elle a jouit de tout avec l'amant. Elle quitte ensuite la France et jouit encore. Sa soeur, mannequin, s'ennuie à mourir, au sens propre presque, des hommes ordinaires : trop mous, trop doucereux, pas assez sexuels ni sauvages. Elle préfère se prostituer. Par goût, par attrait. Et jouir de toutes ses bites qui se fichent d'amour et de bienséance, qui ne veulent que l'user, la réduire à une machine à plaisir.
Elles veulent, toutes les deux, de la virilité, des élans hard, une ivresse de sexe. Elles sont infiniment femmes. Femmes d'instinct et non femmes-apprises.
S'il est un défaut de plausibilité dans le récit, notamment quand Elodie est trouvée inerte dans la chambre d'hôtel et que l'hôtelier va chercher le père plutôt que d'appeler les secours, ou encore lorsque quelques « hasards » étranges se produisent, donnant lieu à des rencontres et retrouvailles improbables, ces invraisemblances sont voulues, assumées, belles : Michel erre dans ses songes, se balade entre réalité et délires. On ne sait plus ce qui est vrai ou faux, qui est mort ou vivant, qui accouche et qui a accouché.
Tout est Mystique : la fille ressuscitée, la mère enceinte d'un homme mort. Tout est sacré, par contraste avec l'inceste qui se produit deux fois. Cette jouissance fraternelle, terrible, interdite, taboue, l'union de chairs d'une seule et même chair, est comme voulue par une force supérieure et divine. Rien n'est péché au juste, tant que les chairs jouissent.
Et puis cette sorte de descente aux enfers : l'alcool jusqu'à se chier dessus, jusqu'à en perdre toutes ses facultés mentales, jusqu'à l'errance du corps qui se traîne et se vautre. Et ne jouit plus, perd tout désir. La Chair est inexistante des bas-fonds de l'âme et de l'esprit. Il faut être en pleine capacité et en pleine vitalité pour désirer et jouir.
Et enfin, la fin terrible, la chair tout à fait, béate, offerte. Les odeurs de deux corps dans un lit, leurs Chairs mêlées à jamais, liées par le sang tout à fait.
Un excellent roman.
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