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Critique de SophieChalandre


Moi, le suprême est l'une des oeuvres les plus réussies et les plus complexes écrites sur le pouvoir politique absolu mais aussi sur le pouvoir absolu du langage. "Le thème du pouvoir dans ses différentes manifestations apparaît dans toute mon oeuvre, qu'elle soit politique, religieuse ou familiale.[...] Depuis enfant, je ressens le besoin de m'opposer au pouvoir", dit l'auteur Augusto Roa Bastos.
Publié en 1974 alors que Roa Bastos est exilé en Argentine, ce "roman de la dictature" tente de donner un visage universel à celui du dictateur. Moi, le suprême explore le régime brutal du paraguayen José Gaspar Rodríguez de Francia dans un récit à la fois historique et fictionnel, d'une grande complexité symbolique. Augusto Roa Bastos en profite pour viser le pouvoir tout aussi brutal du dictateur paraguayen alors en place au moment de la rédaction de ce roman : Alfredo Stroessner, très proche de Rodríguez de Francia dans son système absolutiste et ses méthodes tyranniques.

Dans un texte fracturé et aux multiples hiatus, Gustavo Roa Bastos montre comment le père fondateur du Paraguay Rodríguez de Francia, historiquement l'homme qui proclame l'indépendance en 1811 puis crée la République du Paraguay en 1813, est aussi son tout premier dictateur.
Grâce à une voix narrative qui est celle du tyran, le Suprême se donne lui-même naissance, met en scène sa propre mort et forge le système qui lui confère le pouvoir absolu, l'auteur évoquant au passage comment se perpétue sa représentation dans l'imaginaire collectif.
C'est aussi une évocation du pouvoir absolu du langage et de l'écriture quand ils sont accaparés par un pouvoir autoritaire : propagande, textes de lois, réécriture des événements. Figure totémique, le Suprême dicte une Circulaire perpétuelle à son secrétaire, véritable torrent oral et textuel, où le pouvoir absolu est incarné dans le verbe unique : comment le "moi" du titre fabrique et devient le mythe du "Suprême".

Ce roman fait entrer dans une collision d'une force remarquable la légende et l'histoire, la fiction et la réalité, le mythe et le dogme, rendant au final cette fiction historique plus probable et plausible que la réalité elle-même ou ce dont rend compte L Histoire officielle.
La perspective historiographique de ce roman a été largement (et volontairement) empruntée à l'historien Julio César Chaves et sa biographie de Rodríguez de Francia : el supremo dictator, Roa Bastos jouant à la gloser et la transformer pour mieux la parodier et remettre en cause le discours historique officiel, c'est-à-dire le discours dominant, et nous offrir un véritable monument narratif et universel sur le pouvoir absolu.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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