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Critique de Emiliec28


Il y a une grande violence dans cet ouvrage, pas celle de l'autrice, mais celle qu'on lui a infligé et qui ressort avec rage et désespoir.
Je ne jugerai pas de la qualité d'écriture, je ne peux pas. Ce n'est pas un roman, c'est un cri de douleur qui résonne en chaque femme. du formatage à l'enfance jusqu'au moment où on nous brise.
Chaque jour, quelqu'un ou quelque chose nous rappelle que notre corps ne nous appartient pas, que nous ne pouvons pas le protéger, notre voix ne nous appartient pas non plus, la chasse aux sorcières n'est pas finie, on nous brise encore et encore et on nous dit que nous l'avons bien cherché. Les poupées, les premières expériences, le dégoût de soi, tout est là.
Le livre est ponctué de paroles d'hommes publics qui font froid dans le dos, des extraits de procès, d'argumentations, de défense qui souligne cette réalité qu'on nous accuse de fantasmer.
Oui elle parle de consentement mais aussi de déni, de sidération et d'une culpabilité qui ne devrait pas être la nôtre.
Trop dénudée, trop sexy, trop femme, elle l'a bien cherché. Trop masculine, trop laide, personne n'a pu la toucher (oui oui, deux hommes ont été acquittés pour ce motif)
Il n'y a pas de bonne façon d'être une femme dans ce monde. Toujours dans notre tort.
Elle raconte comment le "non" peut ne pas sortir, comment les femmes sont éduquées pour ne pas parler de leur désir et de leur non désir, formatée pour se sentir en trop, gênante, inutile, faible, nulle. Un objet qu'on peut utiliser. Un objet ça ne parle pas, ça ne dérange pas.
Elle parle du cerveau qui nous protège, qui veut oublier, rend flou, déforme. On nous accuse alors de ne pas être clair, d'avoir tout inventé.
Être belle, objet de désir. Vivre sous le regard des hommes et celui, jaloux, des femmes qui ont échoué à remplir les critères. Ce sont ces regards qui sont censés faire de nous une femme. La petite fille qui jouait à la poupée est devenue l'une d'elle. C'est un succès, qu'elle en soit heureuse ou non, qu'elle l'ait voulu ou non, la société a gagné.
Plus je lis, plus je me dis que cette fille est détruite, sans estime, sans confiance en elle. Je reconnais les symptômes et j'ai mal pour elle. Je souffre pour elle. Elle est la raison pour laquelle je me bats, pour laquelle je veux brasser du vent jusqu'à ce que mes mouvements malhabiles se transforment en coup de poing.
Elle raconte comment le piège se referme, mélange de culpabilité et d'emprise. Elle raconte le réveil et comment elle doute de sa propre vérité et moi je me demande comment on peut encore en être à douter, les victimes, tandis que les agresseurs se trouvent des raisons, des excuses, une belle histoire à raconter. Pourquoi toutes ces femmes ne sont pas capable de le dire avec force et conviction ?
Elle continue de penser que c'est peut-être elle le problème. À la fin du livre, on voit bien la progression de la réflexion, elle est prête à se battre mais le doute subsistera toujours.
Elle lutte pour nommer les choses, pour comprendre ce monde qui minimise le traumatisme qu'elle a vécu mais qui pardonne à celui qui lui a imposé, celui qui ne se repend même pas.
Elle parle de ce fameux concept de la promotion canapé : toutes ces femmes qui montent grâce au sexe et font ensuite les effarouchées. Version masculine de l'histoire évidemment, celle où les femmes sont des garces aux dents longues, avides de sexe, fortes et indépendantes. Ils l'ont tellement rabâché que c'est devenu un fait sacré, une vérité, on le balance à toutes les sauces à chaque témoignage. Et la version des femmes on ne la demande pas, on ne la veut pas, on la rejette.
Loulou Robert raconte comment nous sommes rabaissées, pendant des années, jusqu'à se sentir insignifiante et tout subir sans broncher, pour plaire, pour se sentir exister, pour ne pas décevoir.
Et puis un jour, comme pour elle, les liens se font, et la rage emporte tout. Cette volonté de briser le patriarcat, cette culture du viol, de forcer le monde à ouvrir les yeux, forcer les agresseurs et leurs complices silencieux à subir la honte, la culpabilité.
Et puis elle raconte le reste, comment son appréhension de la sexualité s'est construite sur des expériences affreuses, comment on l'a brisé, sans même y réfléchir, dès l'âge de 11 ans. Parce que c'est comme ça qu'on éduque les garçons, les enfants.
Elle parle de son dégoût de ceux qui savent et ne font rien, voient mais ne disent rien. Les lâches. Elle parle de la notion de la victime idéale : celle qui pleure, se brise et se suicide. Toutes les autres ne sont pas vraiment des victimes puisqu'elles s'en sortent. Elle parle du devoir conjugale, du viol conjugal. Ce dont on ne parle pas. Là où il y a mariage il n'y a plus viol puisque la femme a signé, puisque c'est sacré, puisque dans le couple il ne peut y avoir que de l'amour, puisqu'elle lui appartient. La femme constamment la victime et la coupable idéale, toute l'éducation est à refaire.
Elle aborde la zone grise. Cette fameuse notion que j'ai rencontré pour la première fois cet été. Il fallait bien inventer quelque chose pour diminuer la gravité des actes et, comme le dit l'autrice : "C'est toujours autre chose" "Pourquoi les signaux sont-ils systématiquement brouillés ? Pourquoi toujours dans le même sens ?"
Zone grise, ça sonne mieux que viol.
Les mots de Loulou Robert sont percutants, elle les pose sur l'émotion qui m'avait envahie en découvrant cette notion : "la zone grise est un schéma qui protège les prédateurs"
Vient enfin la peur d'avoir parlé, la peur d'être celle qui fait du mal. Cette blague.
Elle assume contourner la justice, cette justice qui n'en est pas une, qui acquittera son agresseur étant donné la complexité de la situation. Elle choisit de s'affranchir et s'arroger le droit d'appeler ça un viol. Elle encourage toutes les femmes à en faire autant, à prendre la place et les mots qu'elles veulent, qu'elles ressentent au plus profond d'elles parce qu'il faut qu'on cesse de croire que le système nous l'accordera. "Mon arme : mes mots, ma liberté."
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