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Critique de Malivriotheque


Lin (surnom) s'est échappé de prison en Australie et se retrouve à Bombay en Inde. Là-bas il commence une nouvelle vie incognito, à se faire des amis tout en craignant de se faire reconnaître et attraper par la police. Et puis c'est la galère, le manque d'argent. Une rencontre inattendue va l'emmener au coeur de cette Inde qui l'accueille et va lui apprendre le summum de l'intégration sur place. Lin, avec beaucoup de hasard, s'est bien entouré et se sent à l'aise. Les rencontres et évènements se succèdent, au point de changer sa vie et sa perception du monde à jamais...

Comme il est compliqué, après deux mois et demi de lecture, de se lancer dans l'exercice de la critique. Shantaram est une épopée personnelle extraordinaire ; un roman fleuve gigantesque ; une expérience de vie via la lecture. Shantaram vous prend, vous happe ; vous lasse et vous fatigue ; vous émerveille et vous laisse sans voix ; vous émeut et vous met mal à l'aise.
Honnêtement, par où commencer ?
Le début certainement, le plus simple. Tout d'abord ce très long roman commence par l'un des paragraphes les plus beaux qu'il m'ait été donné de lire. Déjà l'auteur marie à la perfection mots et sentiments et fait montre d'une sensibilité exquise. Déjà l'on sent qu'on rentre dans le cheminement personnel du personnage principal qui se livre totalement au lecteur. Cette qualité littéraire se retrouve tout au long du roman. Il va sans dire que l'auteur a une plume incroyable et puissante, tout en utilisant des mots simples mais qui touchent.
L'histoire se découpe en cinq parties et montre la progression dans la vie de Lin au fur et à mesure de ses rencontres et des évènements qui les accompagnent. S'il faut bien attendre la centième page pour rentrer complètement dans le récit, ce dernier prend une ampleur incroyable dès lors que Lin apprend le Marathi, intègre le bidonville et devient docteur de fortune. Sa rencontre avec le taxi driver Prabaker reste la plus belle de tout le livre, celle qui le rendra humble et humain. Cette partie dans le bidonville s'accompagne d'innombrables descriptions de la ville de Bombay, l'Inde plus en général, la vie en bidonville et la simplicité et pauvreté dans laquelle les habitants y vivent, le sourire aux lèvres et le partage dans le sang. Dans le dénuement le plus total ou presque, Lin se retrouve, raconte son évasion, la perte de sa famille, ce qu'il ne reverra jamais et ce qu'il est illusoire d'espérer. Les cinq ou six cents pages consacrées à Bombay sont sans tergiverser les meilleures.
Le récit prend une tournure assez radicale quand Lin, pour se faire de l'argent, rentre dans la mafia du coin, dirigée par Khaderbai. Si l'homme est pour lui la figure paternelle dont il a toujours manqué, il le conduira pourtant à sa perte d'identité, voire de foi en l'Homme. le passage le plus ahurissant, c'est quand il se rend avec tout un groupe en Afghanistan pour livrer des armes et aider les Mujahidines à combattre l'envahisseur russe (nous sommes au coeur de la guerre dans les années 80). Non seulement cette partie sort de nulle part, mais elle rend Lin aux yeux du lecteur complètement naïf de se joindre à une "guerre sainte" à laquelle il n'appartient pas du tout (il joue l'Américain, à l'époque où les Américains étaient les gentils parce qu'ils fournissaient des armes aux rebelles), et qui pour le coup est à l'origine de la suppression des droits civiques pour tous dans le pays, de l'émergence des Talibans et de l'armement de la future pépinière à terroristes mondiaux. Rien que ça. Lui suit aveuglément son père spirituel et ses amis, et honnêtement on ne comprend pas bien pourquoi lui qui n'est pas Musulman, même si son amour pour Khader Khan est maintes fois mentionné comme la raison de son ralliement. du coup cette partie casse avec l'ambiance installée dans la première moitié du livre. Même si Lin rentre sain et sauf à Bombay, le récit reste dans une tranche plus sombre et une atmosphère moins attachante quand il prend de plus en plus part au crime organisé. Lui-même admet qu'il n'aime pas traîner avec des meurtriers. Mais ce sont pour la plupart ses amis, et le pouvoir et l'argent jouent pour beaucoup dans sa décision de continuer sur cette voie, même s'il ne se sent plus en phase avec lui-même.
Mais c'est trop tard : le Lin modeste, combattant, studieux et attachant a perdu de sa superbe auprès du lecteur. Quel dommage ! Durant ma lecture de la première partie, je ne voulais pas quitter le récit. Je voulais savoir ce qui allait arriver à Lin en prison, toujours en savoir plus sur sa vie dans le bidonville, un peu à la Cité de la joie. Mais toute la deuxième partie porte la marque du crime, de la drogue, de l'argent sale, de la violence, de la manipulation, de révélations même plus intéressantes... Des personnages qui avaient disparu au cours du récit reviennent même, les uns après les autres, comme par magie, presque n'importe comment. Et on n'y croit plus, le charme est rompu. On devine aisément l'écart qui s'est créé entre les gens simples et plein d'amour et de respect et Lin, commettant encore plus de crimes qu'il ne l'avait fait en Australie.
Revenons d'ailleurs sur le personnage de Lin. Même si j'ai très apprécié le livre (du moins sur la première moitié), je ne peux que noter quelques facilités de récit : Lin est blanc, c'est un gora. Mais alors il parle facilement toutes les langues du coin apprises en moins d'un an, tout le monde l'aime, tout le monde lui fait confiance... C'est un peu gros pour être réaliste. D'ailleurs, l'auteur s'est basé sur ses propres expériences pour écrire ce récit. Mais où s'arrête donc la part autobiographique du texte ? Vu les descriptions détaillées, chaleureuses et précises de la vie à Bombay et dans les bidonvilles avec les plus démunis, on sent que ces parties-là viennent du coeur. Ou encore tous les passages sur la drogue et la perte de sa vie laissée à l'autre bout du monde sentent le vécu. Même si on se doute bien qu'il n'est pas parti combattre en Afghanistan (c'est d'ailleurs la partie la moins crédible de tout le livre), qu'en est-il du reste ?
Enfin, s'il y a bien un personnage qui m'a soûlée pendant tout le récit, c'est celui de Karla, cette fille dont Lin tombe éperdument amoureux et qui le traite toujours avec un mystère presque méprisant. Cette fille, qui a ses raisons, perd très vite la sympathie du lecteur, même quand il apprend pourquoi elle fait tant de mystères. Lin a bien du courage de s'accrocher à elle, parce que nous on s'en serait bien passé !
Pour conclure, il y a de quoi passer par diverses étapes d'appréciation à la lecture de ce très gros livre. Il y a néanmoins dedans une qualité littéraire absolue à ne pas manquer, la VO n'est d'ailleurs pas à bouder (certaines expressions en français dans le texte, toutefois, sont fausses contextuellement, ce qui fait un peu pédant car l'auteur utilise de nombreux langages dans son récit comme s'il les maîtrisait tous... raté). Toutefois, au vu de la fin, je ne lirai pas le tome 2, sorti quelques années après. Je n'ai pas envie de retrouver les gangs de mafieux et cinquante nouveaux personnages dont il faudrait se rappeler les noms, ni les tergiversations sur l'origine de l'univers et la foi en dieu du maître de Khaderbai, que Lin indique vouloir rencontrer après une nouvelle participation à une guerre qui ne le concerne pas (au Sri Lanka)... Je considère cet opus comme un mets unique, à apprécier et critiquer, dans ses très bons et moins bons côtés.
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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