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Critique de JilanoAlhuin


Kim Stanley Robinson affirmait (dans un texte publié en 2019 dans la revue Commune) que les dystopies traduisent nos craintes envers les problématiques actuelles et supposait que l'engouement pour celles-ci est symptomatique d'une crise de la représentation où les différentes formes de gouvernements - par indifférence - faillissent à leur devoir de résolution de ces problématiques ; face à cette incurie, les dystopies expriment alors le sentiment d'impuissance des citoyens. Il allait même jusqu'à dire que faute d'action politique collective nous vivions déjà dans une dystopie.
Mais loin d'être pessimiste, Kim Stanley Robinson est un auteur qui croit en la force prescriptrice de l'imaginaire. Ainsi il exhortait à la création d'utopies afin de pouvoir imaginer les solutions futures à nos problèmes contemporains. C'est donc ce à quoi il s'est attelé et en 2020 est paru son livre The Ministry for the future aujourd'hui traduit en français.

Toutefois, K.S.R. était conscient de l'ampleur des changements nécessaires pour enrayer le changement climatique et stopper ses conséquences ; dépassant le simple constat, il nous offre ici une ébauche de projet civilisationnel total afin de les mener à bien.
C'est alors une forme hybride de récit d'anticipation qu'il nous livre, oscillant entre dystopie et utopie et accompagné d'articles qui ne dénoteraient pas dans un essai. Si la forme que prend cette expérience de pensée s'entend, sa réalisation mérite d'être critiquée : au-delà du fait que K.S.R. semble régulièrement s'envoyer des fleurs et bien qu'il soit nécessaire de rappeler certaines informations pour ceux qui n'en auraient pas connaissance, le lecteur averti éprouvera une certaine lourdeur dans le texte, l'alternance entre essai et fiction cassant le rythme du récit ; on attend d'un roman de SF qu'il intègre et entremêle subtilement la réalité et la fiction (en somme « Show, don't tell »).
Dans une moindre mesure, les changements de style de langage pour figurer les différents personnages semblent souvent être clichés, voire caricaturaux, et ne parviennent pas à leurs donner de la substance.

Globalement, les personnages sont superficiels et aucun n'est réellement charismatique. Les protagonistes sont plus nuancés mais manquent toutefois de complexité, laquelle aurait permise de mettre en lumière les dilemmes moraux qu'imposent les bouleversements du récit.
La qualité des différents chapitres est également oscillante : les premiers chapitres sur la canicule en Inde sont par exemple palpitants et réellement immersifs mais d'autres sont fades, superflus ou trop vite expédiés ; coté articles, si certains sont captivants d'autres ne sont pas assez explicites - notamment ceux traitant de sujets économiques - ou s'appuient sur des analogies pour le moins douteuses.
L'histoire, quant à elle, est à l'image des protagonistes et manque d'élaboration et de profondeur. Si nous sommes d'accord avec l'auteur pour dire que ce n'est pas avec des demi-mesures que nous réglerons le changement climatique et ses répercussions, cette radicalité - justifiée – aurait pu paraître vraisemblable si les plans et mesures avancés n'auraient pas été si facilement adoptés et mis en oeuvre. de tels changements, de telles décisions devraient rencontrer beaucoup plus d'obstacles et obligatoirement générer des conflits à grande échelle or ce n'est pas le cas : la géo-ingénierie est, par exemple, tout d'abord controversée et source de troubles diplomatiques mais n'est ensuite plus discutée sans pour autant que le bien fondé de son utilisation ait été débattu ou qu'un consensus ait été trouvé. L'aspect politique et la responsabilité des citoyens sont trop négligés ; tandis que, par facilité, la volonté de chacun d'accepter les changements n'est pas évoquée ou, si elle l'est implicitement, surestimée, tout est mis sur le dos des banquiers et de la finance, et tout les problèmes sont réglés à coup de drones et de missiles nuée.

L'ensemble n'est pas exempt de défauts qui privent le roman de ses qualités divertissantes, et bien que peu de place y soit laissée à la réflexion du lecteur, sa lecture n'en reste pas moins intéressante, voire nécessaire. L'idéologie que K.S.R. y déploie va dans le bon sens mais force est de constater qu'elle est trop parcellaire et superficielle pour satisfaire à un projet civilisationnel total qui répondrait à la crise climatique ; au lecteur de la passer au crible de son esprit critique pour en combler les manquements une fois le récit terminé.
Si ce n'est en somme qu'un manifeste romancé du fruit de ses recherches et de sa pensée qu'il nous expose, son travail considérable mérite autant notre attention que d'être salué.
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