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Critique de Antyryia



La collection Tabou, des éditions de Mortagne, publie des roman adressés aux lycéens et ont pour honorable vocation d'élargir leur tolérance ou d'adopter les comportements les plus appropriés face à certains problèmes. Ou encore de se reconnaître et de s'identifier quand eux mêmes ne comprennent pas ce qui leur arrive.
Les auteurs leur parlent de sexualité ( homosexualité, bisexualité, transidentité,premières relations, sida, inceste, pornographie ) pour briser justement ces sujets tabous mais aussi de maladies mentales comme l'anorexie, la schizophrénie, l'angoisse, la dépression, l'obésité. Ajoutez à cela les drogues, les maladies, la criminalité, le harcèlement et vous aurez déjà un beau panel de tout ce que proposent ces titres qui, sous forme de romans, apprennent le respect, préviennent des risques, ont un rôle éducatif sous leur forme ludique même si les sujets évoqués peuvent être très graves.

Depuis dix ans et Chambre 426, Madeleine Robitaille avait uniquement participé avec d'autres auteurs à la série Cobayes en 2016, et la revoilà de façon inattendue dans cette collection Tabou pour nous parler de la parentification. Un terme que je ne connaissais pas et qui désigne un phénomène moins connu : L'enfant ou l'adolescent qui doit prendre la place de parent et s'occuper de tout. de ses jeunes frères et soeurs et de leur éducation, du ménage, de la lessive, des comptes. Et s'il lui reste quelques minutes, alors peut-être pourra-t-il songer à sa propre scolarité.

Quand je lis ce genre de docu-fiction ( on est dans un roman mais dont le rôle est de balayer son sujet en long en large et en travers au point de ne plus rien ignorer des tenants et aboutissants de ce sujet si lourd à porter pour une adolescente qui est mère de substitution depuis cinq ans déjà ), je ne peux pas faire autrement que me souvenir du personnage
de Nick, dans le roman Serre moi fort de Claire Favan. Après la disparition et le probable meurtre de sa soeur ses parents s'effondrent complètement, alcool et cachets rythment leur quotidien, et c'est lui qui va les porter à bout de bras en attendant qu'ils se réveillent de leur abrutissante léthargie. Avec cette scène marquante où il emmène sa mère dans la salle de bain et la déshabille pour pouvoir la décrasser dans la baignoire.

Je n'ai jamais eu à vivre pleinement ce rôle de parent mais mon vécu me permet cependant de mieux imaginer les sacrifices de la jeune Marianne, héroine et narratrice du roman, et plus encore la profonde dépression dans laquelle sa mère est plongée. J'étais en faculté de lettres modernes quand mon père, usé par son travail ingrat, a fini par lâcher prise et
sombrer dans une grave dépression. Ma soeur et moi le voyions abruti par les cachets, boire des bières dès le matin même si c'était rarement plus de deux, et ses journées consistaient surtout à faire des allers-retours entre son divan pour lire et son lit pour dormir. Et si nous connaissions vaguement les causes de son mal être nous ne l'avons vraiment compris que bien plus tard. Il s'est un peu battu contre des rouages administratifs qui ont achevé de le broyer, il a perdu à nos yeux le droit à l'autorité parentale ( consistant surtout à ne jamais être dérangé ). Et nous avons tous également souffert par ricochet de cette situation parfois invivable.
"La dépression de maman est contagieuse puisqu'elle nous contamine tous."
Mais en aucun cas notre situation n'a été comparable à celle de la jeune Marianne dans le roman, cette jeune fille à l'adolescence sacrifiée par le poids des responsabilités qui lui sont tombées dessus à onze ans.
Pour ma soeur et moi il y a eu une prise de conscience, mais c'est ma mère qui a tout géré. Nous l'avons ponctuellement aidé mais c'est elle qui portait la famille à bout de bras, qui gérait son travail, nos emplois du temps, les corvées ménagères et j'en passe sans jamais nous communiquer son stress, et qui a fait preuve d'une force inébranlable
tout au long des trois années qui ont été nécessaires à la guérison de mon père.

Retour à Marianne donc puisque si la dépression de sa mère est un sujet important du roman, il n'en n'est pas le centre. On ne connaît pas vraiment les causes de ce burn-out, ni le chemin qu'elle a pu faire initialement pour sortir de sa maladie. Elle a parfois des envies de suicide, surtout des envies de fumer et de ne rien faire.
En proie à de violentes angoisses, il n'y a qu'en présence de son époux qu'elle fera de petits efforts pour sortir de sa chambre, se laver, s'habiller. Elle est assez antipathique malgré sa fragilité psychologique. Alors qu'elle a démissionné de son rôle de mère sauf en de rares moments d'autorité usurpée et malvenue, alors qu'elle a deux enfants encore très jeunes et
que tout repose sur sa fille aînée Marianne qui voit son adolescence partir en fumée, elle ne fait rien pour guérir et sa mauvaise passe est interminable, parfois terrifiante d'ingratitude. Alors qu'elle ne se souvient qu'elle est maman de quatre enfants que bien trop rarement.
"Quelle sorte de mère oublie de se lever et laisse sa fille malade toute seule ?"
Le père est quant à lui quelqu'un de très bien, juste dépassé par les évènements qu'il ne suit depuis peu que de loin.
"J'ai l'impression d'être marié à une inconnue. C'est pénible. Je suis juste un peu fatigué de tout ça."
Depuis peu il a un nouveau travail qui permet de rapporter davantage d'argent, mais la contrepartie c'est son absence en semaine.
Et c'est ainsi que cinq jours par semaine, une adolescente se voit dans l'obligation de tout gérer de A à Z.

"Depuis des années, je me charge du ménage, de la lessive. Je passe l'aspirateur. Je cuisine ( de mieux en mieux ). Je m'occupe des petits."
Mais cette liste est loin d'être exhaustive. Et comprend notamment la médication de sa mère sans lui laisser libre accès à ses antidépresseurs ou anxiolytiques pour éviter tout incident. Ainsi que l'obligation de la secourir où qu'elle soit, à n'importe quel moment de la journée, en cas de crise d'angoisse à canaliser.
Elle est aussi la super héroïne qui doit tout faire pour protéger les siens de la méchante DPJ, la Direction de Protection de la Jeunesse, autrement dit les services sociaux qui, s'ils découvrent leurs conditions de vie, sépareront la fratrie en les envoyant dans des familles d'accueil différentes. C'est l'équivalent québecois de nos services de protection de l'enfance, dont l'ombre menace les familles
dysfonctionnelles. Et l'un des sujets importants du livre.

Adulte bien avant l'heure, Marianne est constamment confrontée à des dilemmes dans le rôle ambiguë qui lui a été attribué. Que doit-elle dire ou non à son père pour éviter qu'il ne s'inquiète plus que de raison ?
Comment faire obéir Marco son petit frère quand il dépasse les bornes ?
"J'ai les responsabilités d'une mère, mais je n'ai évidemment pas l'autorité parentale qui va avec."
Quand est-il préférable de se faire passer pour sa propre mère ? Comment réagir quand cette dernière lui fait des reproches ?
"Je suis celle qui donne et jamais celle qui reçoit."
Est ce que si elle en faisait moins ça aiderait sa mère à reprendre son rôle et à la sortir de sa léthargie ?

Vous aurez remarqué qu'il n'y avait qu'une inversion de lettre à faire pour passer de sacrifié à scarifié ? Cette existence impossible, ce sont autant de coups de rasoir qui sont saigné la jeunesse de Marianne, privée de loisirs, privée de vie sentimentale, privée de vie tout court parce qu'elle consacre toute son existence à sauver les apparences et à ce qu'aucun soupçon ne pèse sur sa famille. le forfait de sa mère l'a obligée à passer de la case d'enfant à la case d'adulte sans aucune transition, et bien rares sont les personnes auxquelles elle peut se confier.
Elle doit gérer ses propres inquiétudes et celles de ses cadets qui doutent de l'amour de leur mère.
"Si tu nous aimes, il faut que ça change !"
Elle passe de l'espoir au doute sans arrêt au gré de la santé vacillante de France ( le prénom de sa maman ) à chaque sursaut d'énergie.
Dans une relation complexe d'amour conflictuel.

Adolescence sacrifiée est un roman purement psychologique sur un sujet tabou dans le sens où les enfants vivant dans ce contexte n'ont pas d'interlocuteur et n'ont pas le droit de flancher. Afin de balayer son sujet de fond en comble et donner des armes à ces enfants qui croient bien faire alors qu'une partie de leur vie vole en éclats, Madeleine Robitaille ne créée pas d'intrigue mais multiplie les anecdotes, les imprévus, en maintenant l'intérêt des lecteurs qui se rendent ainsi beaucoup mieux compte de ce que ce rôle parental est injuste et bien trop lourd pour les épaules d'une seule personne. J'ignore totalement si ce genre de situation, poussée à l'extrême, concerne beaucoup d'enfants mais je suis convaincu qu'ils sont bien plus nombeux qu'on ne le pense, déjà à devoir s'auto-gérer. Alors oui, c'est un roman qu'on peut lire dès quatorze ans mais qui est susceptible d'interesser tout le monde.
Marianne est un personnage vrai, on ressent pour elle beaucou d'empathie quand elle cherche à toujours mieux faire mais pourra-t-elle s'en sortir seule ?
La trame qui multiplie les situations impossibles et la souffrance donnera quand même d'importantd éléments de réponse pour sortir de cercle vicieux.

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