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Critique de Sio


Sio
18 février 2013
Montmorency, années 1970.
Une bande de copains, perdus dans un quartier tout neuf ; un quartier surgi de cette idée folle que parquer les pauvres ensemble les rendra … plus heureux ? Moins visibles ? Plus faciles à aider ? On ne sait pas trop.
Alors, là, au milieu des barres de béton, des 1100 logements divisés en 4 cités, de la supérette et du terrain de foot, les copains errent comme des âmes en peine. le béton n'a pas encore tout phagocyté ; il reste des terrains vagues, et même une forêt, lieu de tous les mystères, et où il se déroule des choses dont on ne parle pas, mais que tout le monde fuit, faisant preuve d'un bon sens inné. Entourés des « grands », perchés sur des mobylettes pétaradantes, ils font les 400 coups, se chamaillent avec les gamins des cités voisines, arrosent leurs premiers exploits de bière chapardée. Pour s'occuper, ils se prêtent une cassette audio, compil des tubes de l'époque qu'ils écoutent en boucle, sur un gros poste hurlant et grésillant, comme il se doit.

Gilles Rochier déroule ce portrait d'une banlieue déjà exsangue d'un pinceau quelque peu tremblé, voire maladroit, mais étrangement réconfortant. le dessin, surprenant, montre déjà des visages durs, des yeux qui en ont trop vu, sur ces visages enfantins, et des façades inhospitalières. La couleur se prête parfaitement au long récit de cet ennui caractérisé ; les tons se déclinent en blanc et marron, sur toutes les nuances, rendant l'aspect maussade de ces barres de béton, et l'ambiance des journées monotones. Gilles Rochier insinue doucement une tension subtile mais tenace ; doucement, presque discrètement, il s'approche du monstre aux cent visages caché en plein centre de la cité.
Car au centre de cette cité, il y a l'arrêt de bus. Dans la journée, l'arrêt de bus est plein de promesses ; c'est un lieu de départ vers le monde, duquel on peut imaginer mille aventures. Mais le soir, surtout les fins de mois, aucun de nos jeunes loubards n'y mettrait les pieds pour tout l'or du monde. Les fins de mois sont difficiles ; tout le monde le sait, mais personne n'en parle. Car personne ne veut savoir quelle maman est là, sous l'arrêt de bus, à arrondir les fins de mois. Comme tous les secrets partagés, il écrase de son poids les fiers habitants. Lorsqu'un « Ta mère la pute » surgit sur un bout de mur, tout le monde retient son souffle, chacun soupçonnant ses voisins. Cette violence contenue gonfle, monte, enfle et lézarde les façades, le tout sur fond de rituel de passage de la fameuse K7.
Alors, lorsqu'il apparaît qu'elle est perdue, cette K7, la violence jusque-là si bien contenue éclate, saugrenue, disproportionnée, hors de propos. Et c'est, évidemment, le drame, dont le tragique est à la hauteur des non-dits qui étouffent la cité.
Avec cet album subtil, récompensé du Prix Révélation au Festival d'Angoulême 2012, Gilles Rochier signe une chronique désabusée et juste des débuts des cités. Ne vous laissez pas rebuter par son dessin étonnant ; il porte le récit, et le sublime. Il serait dommage de passer à côté.
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