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Critique de Bologne


Comment peut-on sortir vivant de l'immersion sans bouée dans un site de rencontres ? La narratrice, vêtue de probité candide, rejoint sans protection « La Foule » offerte par un Créateur sans scrupules à la dent carnassière de prédateurs. La quête de l'Âme soeur vire au cauchemar, puis au dépeçage.
Martine Roffinella décortique avec patience les mécanisme psychologiques qui amènent celui qui s'y risque à « incarner la projection de la personne qu'il ou elle aurait voulu être ». Petit à petit, on ajoute à son profil un élément de ce qu'on estime être conforme à la norme ; on rentre dans une grille conçue pour que chacun soit « comme il faut » ; en cas d'échec, on change son profil ; les contacts que l'on noue donnent de nouvelles indications... Viennent ensuite les relances, les messages intrigants, les annonces de visites du profil, les fabuleux pourcentages de réussite qui vous appâtent, et les non moins fabuleux pourcentages de compatibilité entre votre profil et celui d'un inconnu. C'est une première absorption, un consciencieux lavage de personnalité.
Mais l'intérêt de ce récit n'est pas seulement d'analyser un système : il ausculte avec une cruelle lucidité l'état d'esprit de la narratrice, la lente dépossession, les sursauts d'euphorie que l'on tente de faire passer pour de l'assurance, la hantise de ne pas se fondre dans la Foule et celle d'y perdre ses repères, la fascination morbide pour le « bourreau » qui répond à l'annonce, l'abdication de toute volonté, la culpabilité insidieuse... Lorsque surgit le prédateur, on se rend compte que la nouvelle identité, pour les innocentes « brebis » de la Foule parmi lesquelles la narratrice a fini par se fondre, prend consistance dans le regard de l'autre. « C'est ce désir carnassier-là qui faisait prendre corps à la personne, lui accordant enfin une consistance parmi la Foule. Les brebis n'existaient que par la présence et l'haleine du loup. »
La dernière partie, sous le signe de saint Jean de la Croix, fait de cette dépossession une expérience quasi mystique et de la révolte contre le Bourreau un combat contre l'Antéchrist. L'expérience devient une forme d'ascèse qui se termine, comme chez les anachorètes les plus excessifs, dans l'état d'une « épluchure moisie ». Arrive alors l'« état d'un lieu désert » qui a donné son titre au récit. Il est tiré du Petit Robert. On ne découvre qu'en épilogue le terme qui correspond à cette définition.
Mais surtout, il y a dans cette mise en mots d'une expérience atroce un formidable travail sur la langue. Une langue souple, précise, aux phrases longues et subtilement construites, au vocabulaire choisi, à l'ironie pudique pour couper court à l'émotion. Confrontée à la langue de bois habituelle en communication (« éluder subtilement la discussion », « accepter calmement la confrontation »...), la narratrice rétorque par des définitions du dictionnaire, puis par des annonces ou des messages d'une haute poésie, dans un décalage humoristique percutant. Ce court récit (90 pp.) qui multiplie les angles d'attaque est d'une densité qui peu déconcerter : mais on est toujours largement payé de l'attention qu'on y apporte.
Lien : http://jean-claude-bologne.c..
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