Citations sur Le dernier jour (38)
J'ai mal, avec une envie de dégueuler, de m'évanouir, de mourir après chaque seconde à laquelle je parviens à survivre. J'ai chaud, le corps abîmé, meurtri, épuisé. Le corps en alerte, piqué par des aiguilles de souffrance qu'on m'enfonce jusqu'au cœur.
Je suis en colère, épuisé d'être en colère. On veut me tuer aujourd'hui. C'est fait. C'est réussi. Je suis mort, déjà crevé et bien enterré, depuis que je me suis réveillé ce matin.
J'ai perdu, tout perdu, ma femme, ma Jeanne et ce qu'il existe de plus cher, de plus vital, essentiel, ce qui est le poumon de chaque individu : mes enfants. On a pris mon oxygène. Je ne peux plus respirer.
Malheureux que je suis.
Mais je remercie, machinalement, à cause de mon éducation, cet homme laid qui sent la transpiration et le linge mal séché. Je vais dégueuler de nouveau. Je respire calmement, en faisant quelques pas dans le salon-bibliothèque pour ne plus affronter ce type dont le faciès est si affreux.
Je ne réponds rien. Je ne décroche à personne. Je n'ai rien à dire ni à raconter. Parce que ma vie s'éteint sans celle des miens.
Le chagrin et la peine saisissent tout mon corps, comme des coups de tenaille qu'on m'enfoncerait. Des clous dans ma chair. J'ai mal. Trop mal. Je n'y arrive pas. Pas à faire le moindre geste,ne serait-ce qu'un seul mouvement. Faut appeler la police. Faut venir m'aider. Je vous supplie, mon Dieu, je vous implore leurs vies sauves. Que vous ai-je fait? Pourquoi ? Dans quel monde suis-je?
Je suis abattu.
Ma femme est morte. Mes enfants ont disparu.
-RENDEZ-LES-MOI ! je finis par rugir.
_ Julianne, c'est le nom qu'on m'a donné
à l'assistance publique. Je suis né le 5
décembre 1970, je ne sais pas à quelle
heure. On m'a retrouvé dans les chiottes
d'un bar de la Croix-Rousse.
Rien de rien ! J’ai la haine. Une haine et une peur que je ne peux plus contenir. Je lui raccroche au nez. Je prends l’un des tabourets en bois le long du bar qui dessine le comptoir de la cuisine. Je le retourne par le pied et frappe deux fois de suite contre le mur. Le tabouret se fracasse sous la violence du choc.
Nicolas est le dernier arrivé. Jeune homme au début de sa carrière, très grand, dynamique, athlétique, avec des idéaux pour l'esprit et un débardeur blanc pour les filles. Verchère lui dit souvent que les idéaux, c'est comme les premières fois, on est toujours déçu.
Cette nuit, j'ai basculé dans un
autre monde. J'avais une vie
normale, j'ai sombré brutalement,
en quelques minutes seulement,
dans les eaux de l'enfer. J'y coule
à pic.
J'ai perdu, tout perdu, ma femme,
ma Jeanne et ce qu'il existe de plus
cher, de plus vital, essentiel, ce qui
est le poumon de chaque individu :
mes enfants. On a pris mon oxygène.
Je ne peux plus respirer.