Pour ne plus marcher seul

Je l'ai adopté. Il a laissé son empreinte dans mes souvenirs,dans mon esprit et jusque sur mes lèvres.

C'est plus profond que tout ce que l'on peut imaginer. À cet âge qui est souvent celui des premiers émois, le nôtre n'était pas comparable à cette montée de la sève chez les adolescents. Plus profond, je l'ai dit, mais jusque dans l'âme, qui possède seule la force de consolider les souvenirs sans les déformer

C'est normal, ça, qu'un gars surdoué comme lui soit puni alors qu'il n'a rien fait d'autre que du bien ? Ça ne l'a pas empêché de croire en Dieu, au message de Jésus-Christ, à tout ça... Moi, je ne sais pas si j'y crois encore mais, ce dont je suis sûr, c'est qu'il n'aurait rien pu faire, rien pu subir sans cette foi qui l'a toujours animé.

Ne plus marcher seule ! Voilà à quoi j'avais toujours rêvé ! Mais comme à un fruit défendu parce que, dans la cité, j'avais bien, je l'ai dit, des « potes » mais pas un seul sur qui compter, sauf pour faire des « coups ». J'en avais marre de leurs « coups », j'étais une tapette, tant pis pour moi et pour eux. Bref, j'ai toujours marché seule. Et voilà que, tout à coup, on vient me voir, on me passe un disque qui m'a fait franchement pleurer... !

Quand tu marches sous une tempête

Garde la tête haute

Et n 'aie pas peur de l'obscurité

A la fin de l'orage il y a un ciel doré

Et le doux chant argenté d'une alouette.

Il m'a parlé, parlé, parlé... Il a toujours eu la parole et les confidences faciles ! Il parle, parle et personne ne s'ennuie jamais en l'écoutant. C'est pourquoi, cette fois encore, je l'ai bien écouté - avec passion, moi aussi, devrais-je dire - parce que ça me sortait de mon ordinaire de cité-dortoir qui reste déprimant, même quand on est bien portant.

Sa tactique porte ses fruits car, chaque fois qu'un canoë « renard » fait mine de foncer sur un « coq », celui-ci fait front, puis se dérobe à la dernière seconde, profitant alors de l'élan de l'adversaire pour passer sur ses arrières et crocher parmi les foulards.

Je lui avais tapé dans l'œil, peut-être ? Moi, la fille décharnée, le squelette ambulant dont Dracula n'aurait pas voulu - et il aurait bien fait ! -, j'avais tapé dans l'œil de ce gars-là, sans doute ? Il m'avait trouvée à son goût, c'est ça ? Surtout avec mon crâne si joliment masqué par ce bonnet noir qui empêchait la peau nue d'avoir trop froid, même dans ce lieu surchauffé qu'est un hôpital... !

Les bien portants comprennent rarement que la bonne humeur qu'ils s'efforcent de leur communiquer soit si mal perçue par les malades : c'est si dur, si éprouvant... Ils le savent mais ne l'éprouvent pas eux-mêmes.