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Critique de CDemassieux


Soudain : « Et presque aussitôt des explosions toutes proches, des éclatements d'obus dans l'air, dans les branches, dans la terre ; des morceaux de fonte, de bois ; des paquets de terre ; des cailloux qui volent au-dessus de vos têtes ; des grosses fumées qui jaillissent de vingt endroits à la ronde ; un tremblement général du sol ; l'air tout entier qui prend l'odeur d'une culasse de canon chaude qu'on vient d'ouvrir. »

Vu de loin : « Derrière cette houle de prairies et de boqueteaux d'hiver, à une trentaine ou une quarantaine de kilomètres, une vaste chose en flammes, encore invisible, mais qu'on entendait gronder, creusait une dépression qui aspirait le monde d'alentour. On était happés par une succion ; réclamés par une voracité. »

Après Prélude à Verdun, Jules Romains entre de plain-pied dans la bataille proprement dite, en l'analysant comme un médecin légiste analyserait un corps, avec un souci du détail et allant jusque dans les plus profonds et sales recoins, depuis l'avant jusqu'à l'arrière, cet arrière souvent vilipendé – à raison – par les poilus. Griollet, à propos de ceux de l'arrière, dit ainsi au lieutenant Jerphanion : « Mais ils n'ont pas envie que nous revenions. »

Le même Griollet écorne aussi les ouvriers pacifistes d'avant-guerre, qui laissent leurs camarades d'infortune mourir dans les tranchées : « Vous parlez si j'en ai entendu des discours dans les meetings. Tout ce qu'on pouvait dire contre la guerre, et sur ce que ferait ou ne ferait pas la classe ouvrière en cas de guerre. Oui… eh bien ! on voit ce qu'elle a fait, la classe ouvrière. Elle se tient peinarde. Elle demande des sursis d'appel et des hauts salaires. À part ça, les copains du front peuvent se faire casser la gueule jusqu'à la Saint-Glinglin… C'est fini, mon lieutenant, ils ne m'en raconteront plus. Ҫa et les ministres socialistes ! » Socialistes dont les héritiers collaboreront gentiment avec les Allemands à partir de 1940. Ceci est une autre histoire…
Mais selon les stratèges de salon, il ne devait rien se passer de fâcheux à Verdun, qui explose littéralement ce 21 février au matin. Et même à ce moment, le débonnaire Joffre – qui n'hésitait pas à encourager ses généraux à être très « sévères » avec la troupe, tels une meute de chiens enragés, faisant fusiller à tour de bras, comme à Vingré où de pauvres gars furent injustement exécutés, en décembre 1914 – semble ne pas prendre toute la mesure du cataclysme. le communiqué qu'il fait envoyer l'atteste : « Faible action des deux artilleries sur l'ensemble du front, sauf au nord de Verdun où elles ont une certaine activité. » Quel sens de l'euphémisme !

Toujours au chapitres des généraux, voici ce qu'on peut lire : « Certains généraux ambitieux, au coeur sec, pour qui la vie de mille ou dix mille hommes ne compte absolument pas s'il s'agit pour eux de décrocher de l'avancement, ou même, d'une façon plus désintéressée de réaliser une vue de leur esprit ; ceux dont Pétain représente le contraire aux yeux des poilus. » Car, en effet, Pétain se souciait de ses hommes que la plupart de ses collègues.

Jules Romains se penche aussi sur les profiteurs de guerre, particulièrement à travers un personnage édifiant en la matière : Haverkamp, opportuniste sans foi ni loi, malgré les apparences qu'il se donne, et pour qui la guerre devient la poule aux oeufs d'or.

Ce roman est un réquisitoire puissant contre une guerre dont le sol de France porte encore çà et là les stigmates, comme un reproche d'outre-tombe lancé par des millions d'hommes sacrifiés. Pour reprendre une phrase de Jules Romains : « Cette guerre était foncièrement amie des ténèbres. » Des ténèbres servies par une servitude volontaire. Car : « L'homme est un animal qui fait beaucoup plus facilement qu'on ne croirait ce qu'on l'oblige à faire. »
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