Dans une autre vie, j’aurais sûrement compris leur engouement envers lui, j’imagine. Mais dans celle-ci, je me demande quels neurones leur font défaut pour en arriver à se transformer en légumes à la vue d’un beau garçon.
Mon meilleur ami est fou amoureux de moi depuis toujours. J’en ai affreusement conscience quand je ne suis pas dans le déni. Cette idée m’incommode comme à chaque fois que je l’admets. J’aime Hydor comme un frère, mais il ne me viendrait jamais à l’esprit d’aller plus loin avec lui. Pas parce qu’il est rebutant, bien au contraire, mais parce que l’idée d’avoir un petit ami un jour me débecte.
Elle est douée dans l’art de m’ignorer et je dois bien avouer que je lui ressemble beaucoup sur ce point. Aussi sauvage qu’elle, je préfère ma solitude.
Comment peut-on faner à ce point ? Elle qui était si belle autrefois. Grande, blonde, élancée avec de grands yeux vert émeraude qui lui conféraient une beauté presque irréelle.
Dans notre ère, un enfant ne peut plus voler un bonbon sans être immédiatement ramené à l’ordre devant tout le monde. Et croyez-moi qu’après, il ne recommence jamais. Il n’y a rien de pire que d’être surpris, la main dans le sac, un millier de paires d’yeux rivés sur vous, votre visage affiché sur la plus haute tour de la ville à la vue de tous. Je sais de quoi je parle. Après une infraction de ce genre, vous avez droit à une surveillance tenace qui ne vous quitte plus jamais.
Les rebelles, les récalcitrants à la loi et les criminels s’évaporent un beau jour pour ne plus jamais réapparaître. Il n’y a pas de place pour eux à Tre et ce sont ces machines qui se chargent de les débusquer.
Malgré tout, j’aime me sentir seule au milieu des grands arbres qui ont le mérite d’être réels même s’ils ne possèdent plus vraiment de fonction. Esthétisme et nostalgie d’un monde meilleur, voilà le message qu’ils sont censés véhiculer. Pour ma part, c’est ainsi que je l’interprète. Leur simple présence ne suffirait pas à oxygéner toute la population d’une Sphère. Malgré l’illusion trompeuse, ces reproductions ne sont qu’une faible imitation du vivant et de ce qu’était un arbre authentique du Monde Oublié.
Le peuple n’a aucune idée de ce à quoi ressemble le Monde Oublié. Le seul aperçu que nous en avons est celui que nous voyons en classe. Seuls quelques privilégiés, desquels je fais désormais partie en tant qu’archéologue diplômée, passent leur temps à en arpenter sa surface dans l’espoir de trouver des trésors et des vestiges. Preuve de la grandeur de ce monde que nous avons décimé.
Cette vision m’écœure. C’est très loin du monde que nous avons perdu, celui dans lequel vivaient les hommes avant que la pollution ne troue la couche d’ozone et que les rayons destructeurs du soleil ne tuent plus de la moitié de la population.
Je déteste tous ces scientifiques hautains. Comment ne pas comprendre que là où il y a trop de mystères, il y a anguille sous roche. Je refuse de nourrir ce système corrompu. Pourtant, je n’ai pas encore trouvé le moyen de m’en échapper.