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Critique de isabellelemest


Un très grand roman sur le rêve américain et son échec.

Cette fiction fait partie de la "trilogie américaine" de Roth, où l'auteur, relativement méconnu dans son pays, essaie de composer une symphonie du malaise américain, et de la faillite d'un rêve universaliste de bonheur, d'intégration et de réussite mis à mal par la guerre du Vietnam et les remises en cause qui en ont découlé.

C'est l'histoire d'un drame humain et familial que semble nous narrer ce roman. Loin de l'autofiction, il met en scène, non un narrateur centré sur sa propre histoire, mais une légende vivante, Seymour Levov surnommé "the Swede", le "Suédois", un bel athlète qui a fait les grandes heures de son lycée de Weequahic - celui de la communauté juive de Newark - dont il est devenu le mythique champion de basket, de base-ball et de football. Issu d'une famille d'immigrants juifs d'Europe de l'est, qui en deux générations ont réussi à bâtir une entreprise florissante de confection de gants, il en représente l'aboutissement, l'apogée, il est l'image même de l'intégration aux valeurs américaines, grand, blond, sportif, bien élevé, travailleur, bon époux, bon père, entrepreneur de talent. En bon citoyen, il s'est engagé dans les Marines avant la fin de la guerre, s'y est fondu dans le moule national, et s'est même payé le luxe d'épouser Miss New Jersey, une reine de beauté issue d'un milieu modeste d'immigrants irlandais catholiques, faisant fi du communautarisme et acceptant le défi d'un mariage mixte, sous le signe des valeurs de la réussite individuelle venue couronner ceux qui acceptent de travailler dur et de respecter les règles.
Mais ce rêve se fissure et la faille apparue avec le bégaiement de la fille unique du couple, Merry, une fillette aimante, vive, intelligente et gracieuse, va se creuser à l'adolescence. Malgré - ou à cause des tentatives de traitements psychothérapeutiques de sa dyslexie, la jeune fille devient progressivement agressive et rebelle, se passionne et s'emballe contre la guerre du Vietnam (en dépit de l'assentiment de sa famille), crie, insulte ses parents, va seule à New York fréquenter des opposants à la guerre.
Puis c'est le drame, et l'acte terroriste qu'accomplit Merry, seule ou avec des complices, peu importe, puis sa disparition, annoncent la descente aux enfers de ses parents et du trop parfait "Swede".
Ce roman du bonheur et de la réussite se transforme en une douloureuse introspection, celle de tous les parents lorsque leur enfant déraille et s'engage dans une voie sans issue. Où ai-je failli, quelles erreurs avons-nous faites, comment tant d'efforts d'équilibre, de compromis, de succès, d'amour parental, ont-ils pu mener à un fiasco si terrible ? Comment comprendre l'incompréhensible ? Mais le Suédois n'est pas au bout de son calvaire, car sa rencontre avec sa fille déchue et méconnaissable est une épreuve insoutenable, aux antipodes de tout ce qu'il avait souhaité pour lui et les siens.
La dernière partie couronne cette faillite, avec la découverte de trahisons inimaginables qui achèvent de frapper le Suédois dans ce qu'il a de plus cher.

Une composition impeccable en trois parties, qui s'inspire du Paradis perdu de Milton, et avec cette fresque de la chute aux enfers, la peinture d'un rêve brisé, celui du melting-pot, de l'assimilation, de la réussite américaine brassant les communautés et les réconciliant autour de la dinde de Thanksgiving. Roth se livre à un constat pessimiste, la société fondée après la victoire de 1945 n'a pas mené à l'épanouissement de tout citoyen méritant et à l'effacement des communautés issues des diverses immigrations. le rêve idyllique d'un bonheur et d'une réussite ouverts à tous, pour peu qu'ils s'en donnent la peine, la pastorale américaine, la symphonie optimiste et bucolique d'une terre partagée par tous et leur offrant ses richesses, était une cruelle illusion.

L'évocation du bonheur perdu, de la beauté du corps innocent et gracieux de la fillette Merry, de l'harmonie avec la nature campagnarde où elle a grandi et dont elle connaissait toutes les plantes et les fleurs, donne lieu à de poignantes complaintes élégiaques.

Toutefois malgré la sincérité de la douleur paternelle, et malgré les doutes et interrogations du Suédois, le plus poignant reste son incapacité à comprendre les autres - ce qu'il admet lui-même à la toute fin du récit - leur motivations et leur altérité. Il a beau se torturer à essayer de comprendre le pourquoi de ses souffrances, cette intelligence-là lui sera à jamais refusée car il vit dans ses certitudes et ses préjugés, ses valeurs d'une Amérique phare du monde, que l'histoire a mis à mal. le rêve parfait d'une harmonie entre classes sociales (sous le signe du paternalisme patronal) et communautés diverses s'écroule car il n'était qu'un leurre auquel le Suédois a eu la naïveté de se laisser prendre. Il masquait mal une réalité violente et multiforme qu'il se refuse à voir, dans sa bonne conscience tourmentée mais intacte. En ce sens son itinéraire individuel devient emblématique de toute une société, de toute une nation.

Lu en V. O. ce qui n'est pas sans mérite, car l'écriture de Ph. Roth est riche et complexe, tant par sa syntaxe que par son vocabulaire.
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