De cette plongée dans l'Amérique héroïque de l'après-guerre et en s'attardant largement sur les années 60, Philip Roth fait émerger une force poétique pour dénoncer un monde d'illusions qui se désagrège.
Il peint un méticuleux tableau moral disséquant l'Amérique, pointant ses contradictions et lui donnant une inflexion historique, pour se pencher sur quelques-uns des grands moments de crise de la gauche américaine.
La toile de fond est la trajectoire ascendante d'immigrants de la classe moyenne juive qui avaient comme valeurs principales la force du travail et obéissaient aux règles et préceptes, obligations et interdictions envers et contre tout.
Ils étaient jeunes, beaux, et croyaient au rêve américain.
Les contes de fées finissent mal en général…
Le personnage principal, le géant aux pieds d'argile voit tout dégringoler autour de lui, ses certitudes, ses valeurs et sa morale. Sa vie explose littéralement lorsque sa fille pulvérise les normes commettant l'inimaginable mais il se bat pour continuer à paraître tout lisse dehors même si est totalement tourmenté dedans.
Culpabilité, remords, obsessions, déchéance, la dégringolade sera lente mais puissante.
Philip Roth évite la tragédie larmoyante pour se concentrer sur les questions de morale et de l'échec du rêve américain et compose un récit à son image.
Entre regard sur l'intime et l'analyse de la société, ce roman a un grand potentiel subversif et dérangeant.
Il a été salué d'un prix Pulitzer, ce grand roman qui nous parle des fractures de l'Amérique, dans une époque marquée par la guerre du Vietnam, et des émeutes raciales .
Philip Roth nous raconte l'effondrement du rêve américain presque comme un journaliste, avec l'histoire particulière de Seymour Levov, dit le Suédois, et sa fille devenue terroriste qui illustre celle plus globale de la génération 68 . C'est sa manière de nous parler de conflit de génération et de rupture historique. Comme toujours chez lui, fiction et réel sont extrêmement proches.
C'est Nathan Zuckerman, le double de fiction de Roth qui recueille les paroles et porte pour nous cette douloureuse histoire d'une famille frappée de plus qu'un deuil, celui d'avoir une enfant qui porte la mort au nom d'une idéologie, rejetant toutes les valeurs auxquelles son père est attaché.
Roth ne se contente pas de la surface des choses. Il fouille et analyse chacun des membres de cette famille, comme s'ils étaient des voisins, des parents ou des amis. On peut lire des pages magnifiques sur l'amour paternel, la vie idyllique à la campagne, un artisanat minutieux. On touche du doigt les fêlures de chacun d'entre eux, puis le délitement des relations à l'épreuve du pire. Que faire lorsque celui ou celle qu'on aime est un bourreau...
C'est déchirant, parfois insoutenable, car toute tentative d'explication échoue sur le mur d'une réalité complexe qui se dérobe sans cesse. Il y a un peu de Kafka dans cette quête au bout du sordide de la fille perdue, criminelle, folle peut-être, pour la sauver d'elle même et de ses démons, la ramener dans le troupeau.
Si ce roman nous touche aussi, c'est qu'au delà du contexte local, il y a dans le personnage du Suédois , le mythe plus ancien de l'homme qui défie trop les dieux, en voulant être créateur de sa vie . Il préfigure sans doute le personnage de Coleman Silk, qui dans « La Tache » assume pleinement ses transgressions avec son isomorphisme . Dialogue compliqué entre apparence, identité et enracinement ...
Ce n'est pas une lecture facile, mais la prose magnifique, les dialogues incisifs de Philip Roth nous emmènent assez loin dans mille et unes nuances de la douleur .
Ce premier livre de la Trilogie Americaine de Roth est une chronique de la fracture du reve americain, fin des annees 60 du siecle dernier. Son principal protagoniste, Seymour Levov, dit “le suedois", est le symbole de ce reve. Grand athlete blond admire de tous, ce petit-fils d'immigrants juifs d'Europe de l'Est est un modele pour tous ses congeneres de Newark. Bon fils, prospere directeur de la fabrique de gants qu'il a herite et qu'il a fait fleurir, marie avec heur (bon) a une Miss New Jersey catholique, habitant en campagne une ancestrale et solide maison en pierre, bon pere pour son unique fille, Merry. “Le suedois" est l'epicentre d'une certaine mythologie americaine: la preuve par neuf que deux generations de travail acharne peuvent mener au firmament de la societe; que l'Amerique est la terre de toutes les opportunites.
Et puis un jour, sans preavis, tout s'effondre. Ou plutot tout explose. Ses certitudes, ses convictions, sa confiance en soi et en autrui, sa suffisance, le microcosme qu'il s'etait bati et le macrocosme alentour. Avec l'explosion du magasin du coin que sa propre fille, sa petite fille choyee de 16 ans, a fait sauter a la dynamite, tuant une personne. Parce qu'elle s'opposait a la guerre au Vietnam? Pour protester contre le systeme capitaliste americain? Pour s'elever contre une societe injuste? Parce qu'elle haissait ses parents et ce qu'ils representaient? Comment comprendre son acte? Comment le supporter? Comment elle en etait arrivee la? Comment avait-elle ete indoctrinee? Et par qui? Pour “le suedois" c'est la descente aux enfers, bien qu'il essaye de n'en rien laisser paraitre.
Je laisse la parole a Roth: “…survient la fille perdue, la fille en cavale, cette Américaine de la quatrième génération censée reproduire en plus parfait encore l'image de son père, lui-même image du sien en plus parfait et ainsi de suite… survient la fille en colère, la malgracieuse, qui crache sur son monde et se fiche éperdument de prendre sa place dans la lignée Levov en pleine ascension sociale, sa fille, enfin, qui le débusque comme un fugitif, qui le pousse la première dans la transhumance d'une tout autre Amérique ; sa fille et ces années soixante qui font voler en éclats le type d'utopie qui lui est cher, à lui. Voilà la mort rouge qui contamine le château du Suédois, et personne n'en réchappe. Voilà sa fille qui l'exile de sa pastorale américaine tant désirée pour le précipiter dans un univers hostile qui en est le parfait contraire, dans la fureur, la violence, le désespoir d'un chaos infernal qui n'appartient qu'à l'Amérique”.
Et plus loin: “Pour elle, être américaine, c'était haïr l'Amérique. Mais, lui, il ne pouvait pas plus cesser d'aimer l'Amérique que cesser d'aimer père et mère, ou abandonner tout code de conduite. Comment pouvait-elle détester un pays alors qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il était ? Comment sa propre enfant pouvait-elle s'aveugler au point de vouer aux gémonies le « système pourri » qui avait donné toutes les chances de succès à sa famille ? Comment pouvait-elle traîner dans la boue ses « capitalistes » de parents comme si leur fortune était le produit d'autre chose que de trois générations industrieuses et tenaces ? Trois générations d'hommes, dont lui, qui avaient trimé dans la crasse et la puanteur d'une tannerie. Elle avait débuté dans une tannerie, aux côtés des derniers des derniers, cette famille qu'elle appelait désormais les « chiens capitalistes ». Il n'y avait pas grande différence, et elle le savait, entre haïr l'Amérique et les haïr eux-mêmes. Il aimait l'Amérique qu'elle haïssait, tenait pour responsable de toutes les imperfections de la vie, et voulait renverser par la violence ; il aimait les prétendues « valeurs bourgeoises » qu'elle abhorrait, ridiculisait et voulait subvertir ; il aimait la mère qu'elle détestait, et qu'elle avait failli faire mourir en commettant l'acte qu'elle avait commis. Petite salope ignare!”
C'est la fin d'un monde pour le suedois. Avec lui Roth decrit les fractures de l'Amerique au dernier tiers du XXe siecle. Aux anciennes et non resolues fractures raciales se sont rajoutees des fractures politiques importantes qui ont ranime les latentes fractures economiques et sociales. Mais Roth n'est pas un sociologue, il est romancier, et son roman, qui eclaire une periode de crise, m'a fait surtout vivre le cauchemar d'un homme, sa decomposition face a l'ecroulement de tous ses criteres. Pas seulement comprendre, mais accompagner, vivre avec son personnage son desespoir. Roth est un tres grand ecrivain, et cette Pastorale un grand livre. Une page d'histoire, brillamment romancee. le naufrage d'un homme, profondement rendu.
1968, Merry Levov, jeune fille de 16 ans fait exploser une bombe dans la poste locale de Newark et tue un homme, un acte terroriste pour manifester son rejet de la guerre du Viêt-Nam. Après l'attentat Merry s'enfuit et entre dans la clandestinité, ses parents n'auront plus de nouvelles d'elle pendant 5 ans.
Merry est issue d'une famille juive parfaitement ancrée dans les bonnes moeurs de l'Amérique, son père Seymour, un patron respecté et droit, incarne le modèle de réussite. Il est marié à Dawn une très belle irlandaise, catholique, ancienne Miss New Jersey. Tout semble idéal, la famille Levov représente le cliché du « rêve américain » alors qu'est-ce qui amène cette adolescente à bousculer ce tableau idyllique en commettant cet acte terroriste…
Le père essaie de comprendre pourquoi sa fille à basculer dans l'extrémisme. A-t-elle été manipulée, influencée, ou est-elle perturbée, Seymour ne peut imaginer que sa fille chérie soit une terroriste, une militante engagée prête à tuer.
Seymour est profondément atteint par l'acte de Merry, la culpabilité le gagne, il cherche à savoir quelle faille a-t-il commis dans l'éducation de sa fille. Mais cet événement le sort de sa naïveté et de son conformisme, il ouvre les yeux et découvre un autre horizon de l'Amérique, il porte également un regard interrogateur sur sa vie si parfaite. Seymour prend conscience de l'hypocrisie de la société américaine, de ses amies et de ses relations.
Tous les codes moraux de Seymour Levov sont entachés, « sa pastorale » est brisée et devient un paradis perdu.
Philipp Roth donne la parole au narrateur écrivain Nathan Zuckerman. Tout le roman est construit sur le point de vue de ce narrateur qui analyse la société américaine des années 1940 à 1970 et dissèque la psychologie de Seymour personnage central du roman. Un livre qui effleure le militantisme, mais Philipp Roth ne prend pas position, et visite avec réserve les travers d'une Amérique divisée.
Un grand coup coeur.
Philip Roth, récemment décédé, est reconnu comme l'un des grands romanciers américains de notre temps. Publié en 1997 et salué par de nombreux prix littéraires, Pastorale américaine est considéré comme l'un de ses chefs d'oeuvre. Dans ce livre de quatre cent cinquante pages, l'auteur se penche sur le mythe de la famille américaine idéale, pour en montrer la vanité, la superficialité et la fragilité.
En le voyant, qui pourrait penser que Seymour Levov est le petit-fils d'un modeste immigrant juif installé à Newark, banlieue de New York ? Dès l'adolescence, sa belle gueule de grand athlète blond aux yeux bleus lui vaut le surnom de « Suédois ». Sportif de haut niveau au comportement exemplaire, le Suédois est l'idole de ses camarades universitaires. Plus tard, il dirige la prospère entreprise familiale de fabrication de gants, conscient de ce qu'on appellerait aujourd'hui sa responsabilité sociétale. Avec son épouse Dawn, une reine de beauté, il forme un couple parfait, aux valeurs morales irréprochables. Ils habitent une grande maison traditionnelle en pierre, entourée de cinquante hectares de terrain, où Dawn élève des bovins. Bref, une famille modèle, des riches bobos, ou plutôt, puisque nous sommes en Amérique, l'image de ce que le narrateur préfère appeler des pionniers d'opérette.
Leur fille unique, Merry, est la prunelle de leurs yeux. Ses grands-parents en sont gâteux. Mais voilà qu'à l'adolescence, Merry se rebelle contre ses parents, la société capitaliste américaine et sa sale guerre du Vietnam, dans un crescendo qui l'amène à poser une bombe dans un endroit public... Boum ! La poste et le magasin général sautent, un homme est tué. Merry disparaît... C'était l'année 68.
Le paradis du Suédois vole en éclat. Sa confiance en lui aussi. Purgatoire de l'incompréhension, du déni et de l'absence. Lorsqu'il faut bien se rendre à l'évidence, enfer de l'auto-culpabilisation. Quelle faute a-t-il commise ? Quand a-t-il péché pour mériter cela ? Qu'a-t-il fait pour que sa fille ait ainsi « le diable en tête » ? Tout part en vrille…
Comment Philip Roth construit-il son roman ? Il confie la narration à Nathan Zuckerman, son avatar. Comme lui, Zuckerman est un romancier sexagénaire. Comme lui, il a vécu dans les quartiers juifs de Newark. Mais ce n'est qu'un personnage de fiction. Il raconte que dans son enfance, cinquante ans plus tôt, il avait admiré les exploits de Seymour le Suédois, personnage de fiction lui aussi. Revoyant le Suédois en 1995, Zuckerman retrouve chez lui la même superbe que dans sa mémoire, mais marquée d'une superficialité lisse qui pourrait dissimuler une blessure profonde. Lors d'une soirée d'anciens étudiants, il découvre la nature du drame familial vécu par le Suédois près de trente ans auparavant. A partir de ces quelques données, le narrateur va construire la biographie complète de Seymour Levov dit le Suédois, et imaginer le détail des événements de l'époque. Imperceptiblement, on passe dans un second récit, celui de la pastorale américaine proprement dite.
Pour donner tous les éléments de compréhension au lecteur, l'auteur multiplie les retours en arrière et les longues digressions, au risque parfois de l'égarer. Lorsque j'avais lu Pastorale américaine, il y a une vingtaine d'années, j'en avais trouvé la lecture difficile, parfois pesante, notamment dans la première partie. Cette fois-ci, j'ai pris beaucoup de plaisir à redécouvrir le livre et à me laisser promener avec patience dans ses méandres : ils ne sont que littérature. Et à partir de la deuxième partie, on reste suspendu aux événements dramatiques vécus par Seymour et sa famille.
L'écriture est directe, empreinte d'une ironie et d'une autodérision lucides. Mais quand le narrateur, Zuckerman, se place dans la subjectivité des personnages, il parle avec leurs mots pour exprimer leurs pensées, leurs souvenirs, leurs troubles, leurs angoisses, leurs désespoirs. Les phrases viennent par flots, personnelles, spontanées, parfois rabâchées, comme nous nous y laissons aller lorsqu'un sujet nous obsède, ou quand nous nous imaginons en train de nous justifier auprès d'une personne dont nous pensons qu'elle pourrait nous juger. Ainsi l'extraordinaire dialogue fantasmé que Seymour le Suédois rêve avoir avec Angela Davis, la redoutable et médiatique militante des Black Panthers !
Vingt ans après sa publication, Pastorale américaine est d'une actualité étonnante. 1968 avait été l'année de la révolte de la jeunesse un peu partout dans le monde. Les réquisitoires prémâchés, vomis par Merry et ses camarades contre le capitalisme et la société blanche occidentale, sont identiques, au mot près, à ceux que l'on entend de nos jours. Même sentiment lorsque le paradis construit par le Suédois achève de s'effondrer en 1973 : la famille Levov suit à la télé les retransmissions des auditions du Watergate devant le Sénat. Des millions d'Américains prennent conscience qu'ils ont reconduit à la Maison-Blanche un homme douteux qui leur fait honte.
Que signifie l'expression "jeter un froid" ?