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Critique de cedratier


« Pourquoi écrire ? » Philip Roth (630 pages, Folio)
Testament littéraire ? C'est un peu comme cela que se présente cette monumentale étude, dernière publication de l'un des romanciers américains contemporains les plus connus (je dis « plus connus », car je n'avais à ce jour lu aucun livre de cet auteur, et commencer par un essai sur l'écriture peut sembler étrange ; mais finalement, on peut aussi considérer cela comme une belle introduction à son oeuvre). Ce pavé rassemble plus d'une trentaine de textes de densité inégale de Philip Roth, parus dans différents supports entre 1961 et 2014, et couvrent donc quasiment toute sa carrière littéraire. Mais en fait j'ai eu plus l'impression d'assister à une formidable master class qu'à un cérémonial funèbre. Roth y analyse à la fois ses objectifs d'écrivain, ses propres romans, mais il nous fait aborder aussi d'autres auteurs, américains contemporains ou pas. Et c'est souvent passionnant.
Difficile de faire un résumé exhaustif de ce livre, et si certains rares passages m'ont semblé un peu obscurs, c'est essentiellement à cause de ma méconnaissance de cet écrivain ou de certains de ceux qu'il évoque. Pour le reste, c'est une écriture d'une grande clarté, très bien argumentée (on sent l'universitaire attaché à être compris de ses étudiants), et en même temps très élégante, limpide, bien illustrée. On découvre aussi la vie de l'auteur, comment il s'inscrit, quasiment comme un américain moyen plutôt progressiste dans son siècle agité (la prime enfance pendant la seconde guerre mondiale, la maturité pendant la guerre du Vietnam…), ses engagements (ou du moins certaines de ses prises de positions sociales ou politiques, qu'il exprime parfois dans des romans comme « Tricard Dixon et ses copains »). Et ce livre est aussi en filigrane un tableau assez peu enchanteur des Etats-Unis.
Il ne cesse de montrer en quoi l'art du romancier n'a rien à faire du politiquement correct ni des bonnes intentions. Né dans une famille juive, marqué par son éducation et son milieu social, il s'attire souvent les foudres de certaines autorités hébraïques ou sionistes qui lui reprochent, parfois de manière menaçante, le fait de décrire des personnages juifs pas très présentables, et ses réponses argumentées, très fortes, sont d'une portée qui va bien au-delà du minable et dangereux procès qui lui est fait. Il refuse donc l'épithète d'écrivain juif américain ou américain juif, il revendique une parole libre, et montre comment il dut se défendre pied à pied contre les entraves d'une bienséance qui aurait aimé enfermer sa prose dans un carcan moralisateur. Sauf que des relations qu'il a entretenues avec nombre d'auteurs qui devinrent ses amis, ou dans son approche d'autres qu'il n'a pas connus directement… il nous présente presque exclusivement des écrivains juifs, ce qui restreint quand même pas mal son approche ; comme si, quoiqu'il s'en défende, la question de la place des juifs dans le monde d'aujourd'hui était sa question littéraire et humaine essentielle. Mais après tout, pourquoi pas ? Et cela n'empêche pas de lire avec intérêt ses échanges avec Primo Levi, Aharon Appelfeld, Saul Bellow, Isaac B. Singer, mais aussi Kundera ou d'autres, qui sont à chaque fois des pas de côté dont il se sert pour éclairer ses propres conceptions de la littérature…
Et plane, de manière récurrente et transversale dans tout son essai à tiroirs le personnage de Kafka, figure tutélaire et référence apparemment absolue.
Ces échanges directs ou indirects ont le poids des textes recomposés à l'écrit (jamais d'échange verbal recopié tel quel), sur des thématiques très intéressantes. Que produit la censure ? Qu'advient-il quand elle tombe et qu'elle est remplacée par la loi du marché, le moins disant de la bêtise consommatrice ? Le roman comme question, pas comme réponse. L'importance de la psychanalyse dans son oeuvre. Quid de Wikipédia (son témoignage pour tenter de faire corriger des erreurs dans les pages qui lui sont dédiées est édifiant). Etc...
La limite que j'ai perçue à la lecture de ce pavé est relative au ton de l'auteur, quelque peu nombriliste, sentencieux, et parfois un peu hautain, voire méprisant (cf le dédain qu'il exprime pour les clubs de lecteurs, et ailleurs pour « la populace » en général – pour lui 90% des américains sont stupides). Le dernier texte de l'ouvrage, qui reproduit le discours pompeux de Roth à une cérémonie en l'honneur de son quatre-vingtième anniversaire (sic!), est ainsi assez révélateur de ce narcissisme ; il répète dix fois qu'il n'est pas là pour rabâcher ses souvenirs, et ne fait que cela tout au long de son discours, avant de passer à la lecture d'un très très long extrait d'un de ses romans.
Malgré ces réserves, c'est un livre riche d'enseignements pour qui s'intéresse au travail d'un écrivain.
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