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Critique de Deleatur


Au moins, je n'ai pas eu à attendre longtemps mon premier coup de coeur de 2019. Ceci étant dit, je me sens tout vergogneux de ce constat : il m'aura fallu près de trente ans pour découvrir Jean Rouaud. Cela en dit long sur mes priorités de lecture, tristement professionnelles durant tant d'années, et subséquemment sur le retard que j'ai accumulé en matière de bons livres...
L'avantage d'arriver après une bataille est que tout est déjà joué et que l'on n'y changera plus rien. Il est ainsi permis de ne pas s'attarder. Ce roman est donc l'exploration d'une mémoire familiale, à peine transposée de celle de l'auteur lui-même, entre la guerre de 14 et les années 60. S'il y a incontestablement un récit, ce dernier n'obéit pas au sens classique du terme et ne s'oblige pas non plus à respecter la chronologie des faits. le livre se construit par des détours et des digressions, qui n'ont à vrai dire rien de difficile à suivre tant les personnages sont à la fois peu nombreux et bien campés. C'est un livre qui touche son lecteur au plus profond parce que cette histoire, somme toute, est celle de chacun d'entre nous. Toute famille possède son fonds d'histoires tristes et de décès soudains, son lot d'épisodes cocasses ou ses entrelacs complexes de grands renoncements et de petits ressentiments. Lire Les Champs d'honneur, c'est se condamner à ranimer cette mémoire-là, et ce peut être douloureux de s'apercevoir qu'il y a des questions que l'on n'a jamais osé poser et qui ne se poseront plus.
Le talent De Rouaud tient à la délicatesse extrême avec laquelle il aborde son sujet. Son livre aurait pu être un gros mélodrame. Or c'est au contraire quelque chose de très aérien, un texte habité d'amour et de malice, pétri d'humour et parfois tout simplement désopilant, y compris au coeur même de la tragédie. Il n'y a pas une page où l'on ne sente chez le narrateur cette tendresse viscérale pour tous ceux qui l'ont précédé, et qui en un mot ont fait de lui ce qu'il est. Si l'affection est parfois moqueuse, c'est par pudeur, et peut-être aussi parce qu'il ne faut pas donner l'air de se plaindre. Se plaindre serait d'ailleurs bien inutile : pourquoi faudrait-il s'infliger cette nouvelle épreuve ?
Il en ressort, en fin de compte, que la mémoire d'une famille se construit avec des morts et ne s'entretient que par le récit toujours fragile des vivants. C'est une évidence toute simple, bien sûr, mais dont Rouaud tire une lumière qui continue de brûler longtemps après la dernière page de son livre.
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