AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Fauvine


Que dire de ce livre, Les Déliés ? Bizarrement, tout et son contraire, car il m'a consécutivement fait passer par des émotions opposées comme l'admiration envers le style, l'agacement certain devant certaines idées et certains personnages, l'attrait pour d'autres idées de ces mêmes personnages, novatrices et l'accord avec la pertinence de certaines argumentations.
Mais je rends cette critique le dernier jour (j'ai reçu le livre via une opération « masse critique ») aussi parce que j'ai eu du mal à en venir à bout (et pour être tout à fait honnête, il m'en reste encore environ un cinquième à lire), non par défaut de compréhension mais par lassitude. Je voulais à ce moment-là lire un roman, aussi ai-je sélectionné des romans. Parfois j'ai envie de lire des essais et je le fais mais dans ce cas je ne les lis pas d'un trait comme des romans. Et là, je pensais lire un roman alors je l'ai commencé 14 jours avant la date finale pour poster sa critique. Mais désolée, pour moi, c'est un essai déguisé en une tentative de roman. Pourtant j'aime les romans avec des dialogues et de la polémique, mais là plus de 90% du bouquin est ainsi fait et je ne me suis donc pas vraiment attachée aux personnages qui sont plutôt des « supports de thèses » que de « vrais » personnages.

Commençons par ce qui fâche. Les idées sont souvent reprises, formulées légèrement autrement certes mais donnant lieu à des dialogues qui ne sont que des redites de dialogues précédents… Et au départ, j'ai failli croire à de l'ironie de la part de l'auteure tellement les attitudes et paroles de certains personnages écolo-citoyens-révolutionnaires-conscients étaient pétris de clichés accumulés à la chaîne ! Quand je me suis aperçue que ce n'était pas de l'ironie mais des stéréotypes éculés, j'ai failli lâcher le livre de déception. Toutefois, il y avait tout de même de belles pages de descriptions du désert intercalées, heureusement.
Concernant les idées elles-mêmes, j'en ai trouvé de louables mais totalement irréalistes ou bien réalistes mais sans doute pas avec les solutions proposées par les personnages. Par exemple les quartiers sans voiture dans Paris ou bien même dans les provinces, en se servant du vélo ou bien de services rendus par les voisins… Et si les gens ne travaillent pas à 15 minutes à vélo ? Si les transports en commun sont inexistants pour aller jusqu'au travail ou bien défaillants (un toutes les 3h parfois en province) ? Plus du tout d'internet (bon là, d'accord, c'est vrai qu'on est de toute manière dans un monde d'anticipation), c'est quand même dommage pour les gens de petits villages de province encore une fois, qui n'ont pas comme les personnages les moyens de facilement se mettre en contact avec plein de gens avec qui partager certains débats, certaines idées, de rencontrer d'autres jeunes facilement, de se cultiver facilement avec une bibliothèque ou des tonnes d'associations dans les 15-20 minutes à pieds ou en transports en commun comme dans les métropoles. Parfois internet aide grandement dans ces cas-là. Revenir à la machine à écrire maintenant : est-ce vraiment plus écologique de ne plus pouvoir retoucher ce qu'on écrit, de devoir tout retaper une nouvelle fois pour modifier, tout réimprimer sur des feuilles qui viennent des arbres ? Désolée mais word et l'imprimante sont pour moi plus écolos à ce niveau-là car on peut modifier infiniment les écrits avant impression ! Les craies… Oui, pourquoi pas ? Mais si vous aimez aussi peindre, de temps en temps, avec de l'huile, de l'acrylique, des pastels… ? Il faut se priver de tout art plastique alors ?
Concernant les « mots de famille » visant à remplacer les prénoms et noms de famille par des mots choisis pour les sauvegarder d'une perte de vocabulaire croissante parmi la population qui privilégie les émojis, et pour se libérer du poids de l'héritage d'un nom de famille trahissant l'origine sociale, ethnique etc., bonne idée… Mais qui se choisirait pour mots des mots péjoratifs comme « torture », « barbarie » ? Et pourtant, si seuls les mots mélioratifs sont sauvés, on retombe là aussi dans la novlangue car sans possibilité de nommer le péjoratif, on ne peut plus s'exprimer dans toutes les nuances que l'on voudrait et plus s'exprimer tout court. Et les personnages réutilisent juste après cette idée les émojis (p.39 : « quelques émojis et têtes d'oeuf plus tard »), complètement incohérents avec eux-mêmes ! Et l'écriture inclusive, dans certains passages… c'est ridicule sincèrement : p.46 : « en lien avec tous les bricoleureuses, inventeurices et paysan.nes du coin ». Déjà que beaucoup d'enfants ont aujourd'hui beaucoup de difficultés avec la grammaire et l'orthographe, c'est favoriser les classes aisées et instruites de changer de système lorsque l'ancien n'est pas déjà maitrisé… Et il y a aussi quelques coquilles (manque de virgules à plusieurs reprises).
L'idée de vivre sans argent, pour ne plus passer par ça mais retisser des liens entre les gens, avoir besoin les uns des autres et être comme une « famille »… Perso je trouve ça tellement hypocrite ! Justement oui, avant l'industrialisation, les gens avaient beaucoup plus besoin les uns des autres et nouaient donc des relations dans des buts… utilitaires, plutôt qu'uniquement fondées sur l'affection ! Si une personne faisait du mal à quelqu'un de sa « famille », de sang comme élargie, on passait ça sous silence car tout de même cette personne avait des terres ou des services dont on ne pouvait se passer ! Si l'on doit payer un service par un autre service, je n'imagine pas le temps passé après le travail à devoir rendre des services pour s'en payer d'autres (payer sa nourriture, les services du plombier, du coiffeur, de l'école, de la nounou…), un temps de moins passé à se cultiver ou entre amis qu'on se choisit non par besoin mais par estime et affection. Quant à ne plus travailler tout court en échange de services, si on bosse dans le public, chaque usager doit donner un service, et à qui ? Et si je n'ai pas besoin de 50 services d'un coup mais plus tard, ces usagers doivent se tenir à ma disposition pour plus tard, ne pas déménager donc ? Et si le plombier que je dois appeler ne veut pas d'aide aux devoirs pour ses enfants ou de cours de peinture, ou de tableau, ou de lecture à voix haute, ou d'aide rédactionnelle (les seuls services que perso, je peux donner), je fais quoi ? Trop compliqué et au final un peu semblable à l'échange d'argent si le cercle restreint s'élargit à des banques de services.

Le positif maintenant : l'idée des débats menant à celle d'une intelligence artificielle totalement neutre, capable d'analyser les données de toute l'humanité et programmée pour sa sauvegarde, une IA capable, car non humaine, d'avoir le pouvoir sans se laisser posséder par lui, sans que son égo s'enfle démesurément et sans faire passer son intérêt propre avant les vrais buts altruistes, je l'ai vraiment trouvée intéressante autant car ça fait vraiment réfléchir à ce qui pourrait un jour arriver que du point de vue du récit. Et cela amène enfin de vrais débats entre les protagonistes (qui auparavant se limitaient à des semblants de débats puisqu'ils étaient tous d'accord entre eux et qu'on n'entendait jamais directement la voix de leurs opposants – dont les idées sont caricaturées à l'extrême, ce qui est agaçant), des débats avec des arguments réfléchis et constructifs de chacun des nouveaux « camps ». Beaucoup d'autres idées sont vraiment bien construites, faisant des parallèles et des analogies pertinentes avec beaucoup de périodes de l'Histoire, et certaines réflexions valables pour beaucoup de réalités différentes, présentes comme futures, que je trouve, profondes. Ce roman a le mérite de faire réfléchir à beaucoup de réalités actuelles. Cela, je ne les mets pas là mais j'en mets une partie en citation directement car rien de tel que les extraits eux-mêmes.

Pour conclure, ce livre m'a donné envie de connaître et de discuter en vrai avec son auteure car j'ai senti dans son roman sa capacité à débattre, sa grande culture, son intelligence et son humanité, ce qui n'est pas rien… plutôt que de continuer à lire ses romans. Mais rien ne dit que les prochains ne soient pas mieux, s'ils ressemblent moins à des essais et qu'elle parvient à faire vivre vraiment des personnages, et ses essais sont sans doute très intéressants.
Je remercie les éditions La Mer Salée et l'auteure pour cet envoi dans le cadre de « masse critique ».
Commenter  J’apprécie          120



Ont apprécié cette critique (11)voir plus




{* *}