"Et puis, voyez-vous, mon petit Dior, nous sommes des hommes perdus au royaume des femmes ; elles nous tolèrent et même nous accueillent avec bienveillance, mais nous ne sommes pas chez nous, nous sommes chez elles… Entre les ouvrières qui font marcher la ruche et ces reines que figurent les clientes, la place est réduite pour les faux-bourdons que nous sommes… »
Vous dirais-je encore que lorsque je les vois toutes s’affairer, dans cet état de tension et de sang-froid qui caractérise les veilles de présentation de collection, à ce moment où rien ne va plus et où rien n’est prêt, je me dis que le pays qui disposerait d’une armée de femmes gagnerait sans doute toutes les guerres…
A intervalles réguliers, la tentation me frôle de devenir mon propre maître, c'est vrai, mais je ne souhaite pas ressusciter une enseigne... Je ne peux m'imaginer qu'à la tête d'une maison où tout serait nouveau, le personnel, le décor, le style. C'est d'ailleurs la seule manière raisonnable d'aborder l'ère nouvelle dans laquelle nous entrons ...
"Vous dirais-je encore que lorsque je les vois toutes s'affairer, dans cet état de tension et de sang-froid qui caractérise les veilles de présentation de collection, à ce moment où rien ne va plus et où rien n'est prêt, je me dis que me pays qui disposerait d'une armée de femmes gagnerait sans doute toutes les guerres ..."
Qui osera dire, songea-t-il, le tort qu'une femme peut se causer à elle-même en s'habillant mal, par indifférence ou par mauvais goût ?
"Tu dis des âneries ! mais pour te prouver que je ne t'en veux pas je vais te révéler une vérité profonde : il y a des limites à ce que l'on peut se contraindre à faire par devoir et ta conduite en est la meilleure démonstration. Si la conférence d'André Siegfried t'intéressait un tant soit peu, tu ne te réveillerais pas après qu'elle a déjà commencé, et si tu souscrivais à la version de ton avenir décidée par ton père, tu ne passerais pas tes nuits au Boeuf, ce n'est pas un endroit convenable pour préparer le concours du quai d'Orsay... D'ailleurs, est-ce que tu t'imagines en diplomate de troisième classe, en train de te morfondre au fond d'une ambassade en Bolivie ou au Siam ?"
Quelqu'un au moins se félicite du renoncement de Christian, c'est Lucien Lelong. Dior lui reste ... Mais pour combien de temps ? Plus clairvoyant que Christian lui-même, il sait que son modéliste vedette a atteint ce palier d'une carrière au-delà duquel un changement radical est impérieux si l'on veut éviter l'ennui qui sclérose.