AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


Un long enseignement d'abandon…

C'est un bien beau premier roman que nous offre Laurine Roux, un conte fantastique empreint de poésie et de noirceur, à la margelle du rêve, à la lisière du chamanisme, à la bordure de l'animalité, à mi-chemin entre les plus terribles bassesses humaines et les plus grandes sagesses ancestrales, où s'entrelacent la mort et l'amour.
Un récit tel que nous lèguent les peuples premiers, à l'intérieur duquel des histoires orales sont également racontées, matriochka de contes entremêlés qui s'emboitent faisant la lumière sur les personnages.
Un conte dont l'esprit rôde dans les terres mystérieuses du Grand Passage, celui qui mène vers l'au-delà et dans lequel les esprits transmettent leurs messages à celles et ceux qui savent entendre.
Une histoire qui permet d'accepter tout simplement le cycle de la vie car nous ne sommes que de passage, éphémères, acceptation sereine accueillie dans « une immense sensation de calme ». Une ode à l'impermanence où notre existence « n'a pas plus d'importance que le nuage ou la bécasse. Pas moins non plus. Il y uniquement la densité de chaque instant ».

« L'instant s'échappe vers un autre, insaisissable. En chute permanente, ou plutôt en grande glissade, car le temps n'est qu'une succession d'effondrements à l'infini ».

Nous sommes probablement en Russie, j'imagine très bien ce récit en Sibérie, sur une terre glacée, montagneuse, où coule la Taïga. Alors qu'elle vient d'enterrer sa grand-mère, sa chère Baba qui l'a élevée, ses parents étant morts alors qu'elle était enfant, une jeune femme rencontre Igor, être sauvage et magnétique, presque animal, qui livre du poisson séché à de vieilles femmes isolées dans la montagne. Ces vieilles femmes sont les ultimes témoins d'une guerre qui, cinquante plus tôt, ne laissa aucun homme debout, hormis les « Invisibles », parias d'un monde que traversent les plus curieuses légendes. Sans un mot, rien que par les regards et l'attitude, dans un calme absolu, les deux jeunes gens vont s'unir et former immédiatement un couple, le couple.
L'amour absolu que se vouent la jeune femme et Igor se passe de mots, silence et gestes quotidiens fondent leur union. Voici la jeune femme à suivre désormais Igor, nomadisme qui va lui permettre de côtoyer ces vieilles femmes, ces « invisibles » et d'en apprendre un peu plus sur son envoutant compagnon.


La nature, somptueusement décrite, est souveraine, elle seule poursuit sa mécanique implacable alors que les êtres passent, que les cycles sont incessants. La plume de Laurine Roux est somptueuse jusqu'à l'ivresse, jusqu'à une forme de joie et d'abandon, elle arrive à nous transmettre la nécessité de regarder, de ressentir, de capter toute l'intensité des instants de vie, aussi courts soient-ils…

« L'immensité du ciel. La trainée laiteuse d'un nuage juvénile. La fulgurance des trouées de lumière à travers les frondaisons. Un bourdon volette au-dessus de ma tête, peine d'une grâce pataude. Tout entre dans mes poumons. Je lampe l'air à grandes goulées, et ma langue reconnait dans ce baiser un goût de terre et de ciel. Vert et bleu. La couleur des baisers d'Igor ».

« Et puis il y a ce ruban de sable, petits grains insignifiants qui crépitent au passage des vagues, millions de minuscules témoins du travail immémorial de l'eau sur la pierre, de ses coups de langue insistants qui érodent petit à petit la forteresse, la réduisant en poudre à force de constance et d'opiniâtreté, la plage couchée en signe de soumission ».

Une plume magnifique, de celle qui illumine le coeur, mais aussi très singulière, métaphorique, narrant une histoire à l'allure de fable dans laquelle s'entremêlent les oppositions, dure réalité et légendes, amour et mort, sagesse et vulgarité, pragmatisme et chamanisme. Et qui nous offre une grande leçon de vie, celle de ne pas avoir peur de la mort…

« Nous sommes tous de passage. Simplement de passage ».

Commenter  J’apprécie          9632



Ont apprécié cette critique (91)voir plus




{* *}