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Critique de Pitchval


Je n'aime guère la couverture de ce livre, ni son titre. Ils me font l'effet d'un genre de divertissement facile, d'un livre qui s'apparente à une farce, avec un titre tape à l'oeil, racoleur et faussement provocateur. Cependant je suis tombée sur quelques citations de ce livre, plutôt justes et intelligentes, assez pour que je me décide à l'acheter. Et puis l'auteur est un philosophe, spécialiste de Spinoza. Un essai peut être bon, n'est-ce pas, même avec un mauvais titre ?
C'est un essai divertissant, une sorte, aussi, de vulgarisation philosophique, et de très mauvais style. C'est d'ailleurs légèrement surprenant de ne pas avoir le goût de l'écriture artistique pour un docteur en philosophie. J'écris « légèrement » parce que j'en ai lu plusieurs dans ce cas, dont Mazarine Pingeot. Sous couvert d'humour, et sans presque aucun sérieux, l'auteur évoque le con et la façon de s'en détacher mentalement, de ne pas s'en sentir importuné et agressé. Et je le soupçonne d'avoir pris ce ton de la blague comme pour atténuer son propos, pour le rendre plus « convenable », moins agressif. Il me semble que cet humour inutile dilue le message, fait montre plutôt d'un manque à la fois de sérieux et de conviction de l'auteur. Pourquoi ne pas assumer ses idées par un propos tranché, dur, austère, crédible ? Par peur des foudres, évidemment. Par prudence. Dommage. D'autre part, je déplore le fait que l'auteur ne commence pas par donner sa définition claire d'un con. C'est encore une façon de se dissimuler, de ne point assumer ses idées. Sa piètre définition relève presque du proverbe, en ce qu'un con serait généralement… celui qui nous ressemble le moins ou nous exaspère. Lâche, hypocrite et facile.
Je ne vais pas commenter l'essai de manière exhaustive. J'ai fait le choix de relever les idées générales ou celles qui m'ont particulièrement interpelée ou intéressée.
La première idée est déjà une idée que je ne partage qu'en partie. L'auteur prétend que plutôt que de défendre nos valeurs, nous devrions défendre d'abord des rapports sociaux. En d'autres termes : faire en sorte de relativiser ce qui nous oppose aux cons. Pour quoi ? Pour améliorer notre rapport à l'autre, par la négociation, ce qui aurait pour effet d'affaiblir le pouvoir des cons en ce qu'ils ne seraient alors plus les rivaux ni les ennemis de personne mais une catégorie acceptée, tolérée, qui n'est même plus vraiment une importunité. Si, évidemment, ne pas perdre son temps à lutter inutilement contre la connerie s'entend tout à fait, l'auteur ne parle guère de mépris, d'humiliation qui permettrait au con de constater qu'il en est un. Et voici pourquoi, selon lui : si un con n'est pas capable de se rendre compte de la connerie qu'il a dite ou faite, c'est déjà perdu. Alors à quoi bon ? Possible, seulement il faut savoir : soit on perd un peu de temps pour lui montrer sa faute, soit on le méprise tant qu'on l'ignore. Pourquoi négocier, en ce cas ?
Eh bien… parce que l'on n'a pas toujours le choix : le con peut être un membre de la famille proche ou pire encore, un supérieur hiérarchique par exemple.
Par ailleurs, la connerie, selon Rovere, revêt un caractère si universel que personne en particulier ne peut être traité de con ni montré du doigt. Il considère en somme qu'il est plus ou moins normal et établi de se laisser glisser dans un conformisme, dans une connerie généralisée, un peu comme on s'habille à la mode non par goût mais parce qu'il ne se vend plus que cela dans les magasins. Arg ! Autrement dit, aucun imbécile ne serait à blâmer personnellement et la connerie ne devrait se combattre que de manière universelle. D'ailleurs, il serait parfaitement vain de lutter seul contre un idiot : ce serait se faire du tort à soi-même, à la façon dont on lutte enlisé dans des sables mouvants, pour reprendre la métaphore de l'auteur. Voilà : on ne peut changer personne individuellement, ou quasi. Vouloir raisonner un con constitue même un grand danger pour son intégrité : c'est le risque d'en devenir un soi-même, de devoir répondre avec passion à ses idioties, et qu'il nous entraîne vers le fond comme un un poids mort qui s'accrocherait à nous tandis que l'on nage. Ce n'est donc pas à l'individu que l'on doit s'en prendre ou que l'on doit vouloir soigner mais il s'agit seulement de trouver une issue à la situation suivante : être confronté à la connerie. (Ce qui ne rend pas tant légitime le titre de l'ouvrage, en passant).
N'importe. Que faire, face à une telle situation ? L'auteur propose de commencer par définir sa position personnelle dans un beau recul pour à la fois dédramatiser le conflit et faire en sorte que la connerie de l'autre devienne une opportunité, une manière de se sentir une valeur et d'éprouver sa dignité. Comment ? En ne réagissant pas de façon épidermique, c'est à dire en apportant une réponse dénuée de passions (on ne réfléchit pas bien sous l'emprise de la colère ou de l'indignation). Ensuite, analyser le con : son entourage, sa pensée, etc. Ne surtout pas prendre une posture ni un discours moralisants, ce qui serait contre-productif, mais sortir de cette posture de juge (peuh !), laisser le con s'exprimer et l'écouter de manière attentive.
Mais pourquoi ? Et pour quoi ? En quoi donc cet essai peut-il aider quiconque à lutter vraiment contre la connerie ? C'est que ce n'est sans doute pas le sujet de l'ouvrage ni son but, qui n'est autre que : comment s'accommoder des cons sans ne plus se mettre en colère ni s'indigner de leur bêtise. C'est tout.
Finalement, on n'apprendra pas à se débarrasser des cons mais à vivre avec. Au mieux, on apprendra à mieux se tenir face à la connerie, à garder de la hauteur, à ne plus jamais se mettre au niveau d'un con.
L'auteur va plus loin, et prétend même que la société a besoin de cons. (Vraiment ?). Il explique cela de la manière suivante : imaginez un groupe d'élites dont on aurait extrait les cons. Une université par exemple, ou un groupe de recherches. Que se passerait-il alors ? Une nouvelle élite se formerait dans l'élite : les quelques individus les plus élevés du groupe en chasseraient les moins intelligents, et ce serait sans fin jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul individu, et donc que le groupe ne soit plus un groupe. Ce qui me dérange dans cette théorie est que l'auteur fait complètement abstraction de l'émulation commune, de l'élévation par l'admiration et par l'effort, du fait de se dépasser par imitation.
Enfin, on ne saura rien avec ce livre quant à la façon d'éradiquer la connerie. On saura juste comment réfléchir (!) à notre propre posture face aux cons. On nous explique durant des pages et des pages que la connerie doit être acceptée, que l'on doit accueillir les cons avec une certaine tolérance, parce que, au fond, on est probablement aussi le con de quelqu'un. Peuh ! Une thèse aussi racoleuse que le titre : faire la paix avec les cons. Si c'est cela, la « philosophie », alors, non, je n'en veux pas.
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