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Critique de Biblioroz


Première scène, de nuit, une voiture gravissant une colline.
Celia a les mains crispées sur son volant. Trois jours éreintants de conduite qui se terminent en tentant de discerner dans l'obscurité le pick-up d'Arthur, son mari, qui la précédait jusque là.
Avec leurs trois enfants, Elaine, Daniel et Evie, ils ont quitté Detroit et son insécurité grandissante pour le Kansas. Vingt ans qu'Arthur n'a pas mis les pieds au Kansas, chez lui, où sa soeur Eve est morte, assassinée dans des circonstances jamais élucidées, alors qu'il était adolescent.
Le vent souffle et fait rouler des boules d'herbes sèches, ombres toutes rondes bondissantes sur le bas côté de la route.
Au sommet de la colline, un virage prononcé, une ombre plus imposante ressemblant à un homme mais l'image est trop furtive pour penser que ce n'est pas un autre buisson d'amarante tournoyant dans la nuit.

Au pied de la colline, ils sont tous arrivés, au bord de Bent Road, chez grand-mère Reesa. Là, va commencer pour eux une nouvelle vie dont tous les faits et gestes, minutieusement exposés, vont emplir les pages, accentuant ainsi les sourdes menaces qui ne demandent qu'à percer la banalité de leur quotidien.
Les fragments de scènes se succèdent, passant des uns aux autres, forçant l'implication du lecteur dans cette chronique familiale où la vie tente de suivre son cours alors que des non-dits, des rancoeurs, des dissimulations, qui suintent depuis vingt ans, se mettent subitement à couler plus abondamment, réveillés par la disparition de la fille d'un voisin.

Ici, les faits classiques du roman noir ne sont pas les principaux éléments pour capter l'attention du lecteur. La recherche de la disparue n'est là qu'en toile de fond, alors que l'on se doute bien dès le début qu'elle nous reliera au passé. C'est davantage dans l'état d'esprit des protagonistes, dans leurs motivations, leurs avancées, que se situe toute la puissance de ce roman. Cet ancrage dans leur quotidien donne encore plus de relief à l'ambiance de plus en plus pesante, tissée minutieusement et rappelée méthodiquement.
Evie, la benjamine, blonde et toute menue pour ses neuf ans, rappelle à la famille l'absente, faisant surgir ainsi ce passé douloureux. A chacune des visites chez grand-mère Reesa, elle se glisse et s'enferme dans l'ancienne chambre d'Eve, fouille la penderie où dorment depuis tant d'années des robes qui la fascinent. Face aux adultes et leurs faux-fuyants, la petite ignore que sa tante est morte depuis longtemps.
De son côté Arthur espère que la vie au Kansas transformera son fils Daniel en homme. Ce dernier s'exerce à la carabine, tentant désespérément de gagner le respect de ce père qui ne lui offre aucun encouragement.
Alors que la mère regrette amèrement sa vie à Detroit, elle devra protéger Ruth, sa belle-soeur, si mince, si fragile, si marquée et vulnérable face à l'alcoolisme et la brutalité de son mari, lui nous servant l'éternel refrain de celui qui frappe « Tu l'as cherché. » Et puis, lorsqu'on est une bonne chrétienne, on se laisse battre par son mari sans avoir le droit de déserter son foyer. L'implacable dominance de l'homme se trouve confortée par la toute puissance de la religion parce qu'ici, il ne s'agit pas de louper la messe chaque dimanche pour laquelle on se fait bien propres, avec le montant du dernier denier versé qui détermine la place où l'on s'assoit dans les rangées de bancs de l'église !
Face à cette menaçante pression conjugale, la relation qui s'installe entre les deux femmes relève et illumine la dureté de cette existence liée à la tyrannie humaine et religieuse.

Derrière la tension psychologique des personnages, Lori Roy joue aisément et à plusieurs reprises sur la perception de bruits extérieurs, attirant l'attention sur les craquements de l'herbe sèche, le bruissement d'une branche d'érable derrière la fenêtre, le vent incessant ébranlant une barrière. Même Olivia, la vache, avec ses escapades, participe à la tension grandissante. La porte moustiquaire grince ou claque, les moteurs des pick-up ronflent et préviennent de leurs arrivées plus ou moins attendues ou craintes.

Alors que les températures chutent, notre famille casse les congères, déblaye la neige ensevelissant ce passé toxique. Une fois le manteau ôté, la noirceur du dénouement fait frissonner devant l'hideuse vérité.
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