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Critique de isatysjoe


Traumatisme d'enfance

« Sur son visage, un sourire à peine esquissé. de la tristesse dans son regard. On me le dit encore : j'ai une tristesse dans la pupille dont je ne parviens pas à me départir. Car lui, c'est moi. »

Lui, c'est Gilles, élève brillant au collège des Mattons à Vizille, accusé de complicité dans l'envoi d'une lettre à caractère antisémite à l'égard de son professeur d'anglais. Il lui faudra vivre des années avec cet épisode douloureux dans un recoin de sa mémoire. Une mémoire d'où les souvenirs ont du mal à s'extirper, une mémoire telle l'« embrouillamini » d'un jeu de mikado. Quarante ans plus tard quand un simple message électronique surgit, c'est son passé qui refait surface.

Dans ce récit introspectif Gilles Rozier revisite et raconte son enfance et son adolescence dans les années 70. Il est un enfant un peu différent, « filliste » comme dit son frère pour se moquer de lui car il aime jouer à la poupée et préfère la compagnie des filles aux sports virils, plutôt introverti avec toujours une pointe de tristesse dans le regard, et l'envie de plaire et d'être accepté par les autres. Sa famille manque de chaleur, ne montre pas ses sentiments, empêtrée dans ses conventions, ses non-dits, ses souffrances. Il est fils d'un ingénieur catholique, un homme aux idées bien arrêtées, directeur de « lusine ». Sa mère est juive, sa tante est revenue des camps, son grand-père est « mortendéportation », une expression énigmatique pour l'enfant qu'il était. Mais c'est ce qui fera dire à sa mère pour le dédouaner lors du conseil de discipline provoqué par « lévénement » : « Comment voulez-vous que mon fils soit antisémite alors que mon père est mort à Auschwitz ? »

Dans cette plongée intime au coeur de ses souvenirs l'auteur démêle les fils de sa vie comme pour exorciser ses démons avec beaucoup de sensibilité et d'émotion.
Comment se construire après une enfance meurtrie ? « Qu'était Ma vie ? Subir les humiliations de mon frère, taire mon désir pour Vincent et ruminer ma culpabilité d'avoir trempé dans une cabale antisémite. »
Gilles Rozier raconte son histoire familiale mêlée à la réalité sociale et politique des années 70 avec mélancolie. L'écriture est précise, douce, élégante. Les expressions qui rassemblent les mots en un seul écrit en italique dans le texte, utilisées dans sa famille, sont autant d'euphémismes pour lui éviter de poser des questions, c'était savoir sans savoir. L'atmosphère seventies apporte la couleur de l'époque, les jeans pat'd'éph, Claude François et ses Claudettes, les émissions télévisées… et le fameux bottin, une pièce maîtresse dans « lévénement ».

C'était une bêtise de gosses et pourtant cet événement traumatisant le poursuivra toute sa vie. Quelque part, lié au contexte familial, il contribuera à faire l'homme qu'il est devenu, spécialiste de la culture et de la littérature juives. Apprendre le yiddish, « une langue morte » viendra comme une évidence pour renouer avec ce grand-père disparu dans les camps, pour affirmer son identité juive.

Mikado d'enfance est un très beau récit qui prend des allures de confidences pour dire l'indicible. le pouvoir des mots, de la poésie, pour réveiller la mémoire, extirper les souvenirs, pour réparer, ne plus se sentir coupable. Une histoire touchante et très émouvante.


Merci à lecteurs.com pour ce livre lu dans le cadre des Explorateurs de la rentrée littéraire 2019.
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