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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Black Hammer, tome 1 : Origines secrètes (épisodes 1 à 6) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 7 à 11 et 13, initialement parus en 2017, écrits par Jeff Lemire, dessinés et encrés par Dean Ormston et colorisés par Dave Stewart, à l'exception de l'épisode 9, dessiné, encré et mis en couleurs par David Rubín. Chaque épisode bénéficie d'une couverture réalisée par Dean Omrston, et d'une couverture alternative réalisée par Jeff Lemire, le plus souvent rendant hommage à une couverture célèbre d'un comics de superhéros.

L'arrivée de Lucy Weber dans la ferme d'Abraham Slam a changé la donne, en prouvant que quelqu'un peut venir de l'extérieur, même si elle ne se souvient de rien. Il y a plusieurs années Joseph Weber fermait son établissement de soupe populaire en fin de soirée, et rentrait chez lui quand il a découvert le superhéros Black Hammer, salement amoché dans une ruelle, rendant son dernier soupir. À son invitation, il a empoigné son marteau, et s'est retrouvé transporté dans un autre monde, accueilli par Starlok qui lui explique son rôle de défenseur, auprès des Lightriders et qui lui a présenté Escaper, Whiptara, Time-Boy & Warpie. Starlok évoque également le combat qui les oppose à Anti-God, son frère maléfique. Joseph Weber revient sur Terre quelques instants plus tard et rentre enfin chez lui. Il retrouve sa femme enceinte qui lui explique que 4 mois ont passé depuis sa disparition.

À la ferme, Lucy porte encore sa combinaison spatiale et elle est entourée par tous les superhéros, à l'exception de Colonel Weird. La discussion vire vite à l'engueulade, du fait des propos amères et acides de Madame Dragonfly. Abraham Slam exige que tout le monde se taise, et que la discussion se poursuive dans la cuisine d'une manière plus civilisée. Les superhéros expliquent à Lucy Weber comment ils ont compris qu'ils sont prisonniers d'un large périmètre irrégulier autour de la ferme, qui inclut la ville de Rockwood. Ils évoquent également les circonstances dans lesquelles Black Hammer a trouvé la mort. Quelques jours après avoir assimilés ces informations et sa situation, Lucy Weber décide de se remettre au boulot, en utilisant ses talents de journaliste et en se renseignant auprès des habitants de la ville, en épluchant les publications de la bibliothèque municipale.

À l'issue du premier tome, le lecteur était sous le charme de cette série de superhéros décalée, remplie d'hommages, mais aussi avec une poignée de superhéros écartés de leur ville d'origine Spiral City, pas vraiment résignés à leur sort, bannis dans cette région agricole peu peuplée, cantonnés à une zone sans espoir de regagner leur monde. Il avait établi les liens entre ces superhéros et les versions originelles : Captain America pour Abraham Slam, Martian Manhunter pour Barbalien, Shazam pour Golden Gail, Adam Strange ou Captain Comet pour Colonel Weird, une sorcière pour Madame Dragonfly et M-11 pour Talky Walky. Par la force des choses, il se livre à ce jeu des hommages en entamant sa lecture de ce deuxième tome. Les références ne manquent pas : Starlok fait penser à Odin, Escaper à Mister Miracle, Whiptara à Big Barda, Warpie à Lockjaw, Anti-God à Darkseid avec une touche d'Anti-Monitor. le lecteur sourit franchement dans l'épisode 10 quand Abraham Slam va trouver l'individu qui s'occupe de son costume pour qu'il lui en fasse une version plus extrême, et effectivement il découvre une nouvelle version pourvue de toutes les caractéristiques propres aux superhéros créés par Rob Liefeld, en particulier pour son label Extreme.

Dans le même temps, le lecteur constate que ces superhéros ont déjà gagné une personnalité et une histoire spécifiques. Même si Captain America a subi la mode Extrême comme tous les autres superhéros dans les années 1990, il n'a jamais été le propriétaire d'une salle de gymnastique périclitant faute de clients. Il n'a jamais entretenu une relation charnelle avec une femme mariée (Tammy) en procédure de divorce avec un shérif (Earl Truheart). Billy Batson (se transformant en Captain Marvel avec le mot magique Shazam) était un jeune garçon dans un corps d'adulte (Captain Marvel), et pas une femme vieillissant à un rythme normal, dans un corps de jeune fille comme Golden Gail (se transformant avec le mot magique Zafram). Si J'onn J'onzz a bien essayé de nouer des relations durables avec des humains, ce n'était pas dans le cadre d'un amour homosexuel. En outre, Jeff Lemire continue d'étoffer l'histoire personnelle de ces personnages : celle de Joseph Weber dans l'épisode 7, celle Golden Gail dans l'épisode 8, celle du colonel Randall Weird et de Talky Walky dans l'épisode 9, celle d'Abraham Slam dans l'épisode 10, et celle de Mark Marz dans l'épisode 11. Ils gagnent encore en autonomie par rapport à leur modèle d'origine. le lecteur n'a jamais vu J'onn J'onzz flirter comme ça, ou Billy Batson se conduire de cette manière.

Les dessins de Dean Omston continuent également de donner une saveur particulière à ces aventures de superhéros. Il respecte les directives de Jeff Lemire concernant les costumes de superhéros. Outre l'apparence du Colonel Weird, de Barbalien ou de Talky Walky évoquant fortement les originaux, le lecteur reconnaît immédiatement la référence au costume de Miracle Man pour Escaper (comme le confirme le nom), ou la forme de Lockjaw (le chien des Inhumains) pour Warpie. le dessinateur s'amuse bien avec le costume d'Abraham Slam version années 1990, avec les pochettes (inutiles) à la ceinture, les cartouchières tout aussi inutiles autour des cuisses. Il ne manque pas non plus les énormes épaulettes, pas seulement inutiles, mais aussi impossibles à maintenir attachées, un grand moment de ridicule. La représentation des superhéros par Ormston ne comprend pas cette exaltation systématique des corps et des muscles spécifiques aux production industrielles et formatées de Marvel et DC. le corps de Barbalien n'est pas sculpté comme celui d'un culturiste humain. le corps de fillette de Golden Gail flotte un peu dans son costume pas ajusté. La tenue d'Abraham Slam est moulante, mais plus de type près du corps que moulé pour épouser chaque relief de la peau. L'apparence de Talky Walky est celle d'un robot plus fonctionnel que joli, avec une technologie datée. Il flotte une forme de gentille dérision, comme si une partie de ces personnages avaient revêtu ces costumes parce que c'est à ça que doit ressembler un superhéros, mais sans vraiment y croire.

De fait, les protagonistes en civil ont plus de personnalité que ceux en costumes chamarrés. le lecteur peut lire une forme de lassitude et de résignation sur le visage d'Abraham Slam, ressenti occasionné par le comportement de ses camarades d'infortune, plus que par sa situation. Il voit la même lassitude sur le visage de Gail, mais doublée de tristesse et même de désespoir chez elle. Il voit la même lassitude et la même résignation sur le visage de Mark Marz, avec un refus de s'y soumettre. Il lit l'hébétude dans les expressions de Colonel Weird, incapable de reprendre le dessus sur ce qu'il a vu durant ses voyages. Il apprécie de voir que les civils (y compris les superhéros en habit normal) présentent des petits défauts, attestant de leur nature humaine, n'étant pas idéalisés de manière systématique. de ce fait, les séquences qui reviennent sur leur vie civile à Spiral City n'en sont que plus poignantes, le harcèlement subi par Mark Markz dans les vestiaires du commissariat, ou la conviction de Gail se retirant des affaires des superhéros et construisant sa vie civile.

Comme dans le premier tome, Dean Ormston bénéficie de la mise en couleurs impeccable de Dave Stewart, nourrissant ses dessins sans les écraser, développant une ambiance lumineuse particulière quand nécessaire, ajoutant un peu de relief aux surfaces sans écraser les traits encrés. le dessinateur reste toujours aussi impliqué en tant que chef décorateur, avec une approche un peu simplifiée, un peu naïve, tout en s'avérant d'une densité réelle en informations visuelles. le lecteur peut donc se projeter dans la ferme de Slam, comme dans la bibliothèque de Rockwood, ou encore la maison du pasteur. La direction d'acteurs et leur langage corporel apportent des informations supplémentaires sur leur état d'esprit, et bien sûr sur leurs occupations. le lecteur se rend rapidement compte que le choix de confier les dessins de l'épisode 9 à David Rubín est pertinent. En effet cet épisode est consacré à la rencontre entre le colonel Randall Weird et Talky Walky sur une planète extraterrestre. Les dessins plus épurés à l'apparence plus naïve servent à la fois à renforcer la fibre nostalgique, et à donner une impression de récit daté, totalement en phase avec la nature de l'épisode.

Le lecteur se rend compte qu'il est conquis d'avance avant même d'avoir ouvert ce tome, content de retrouver ces personnages mis à l'écart, à l'abri de tout danger, figés dans une sorte de stase qui les protège des évolutions factices de remise au goût du jour, imposées aux originaux, aux superhéros publiés par DC et Marvel. Mais Jeff Lemire ne se contente pas de jouer sur cette fibre nostalgique ; il fait également avancer son intrigue. En fait cette stase avait été perturbée par l'arrivée de Lucy Weber, et par les essais des personnages de s'extirper de cette stase, de cet endroit dont ils sont prisonniers. Au fur et à mesure des retours dans le passé, le lecteur mesure mieux ce qu'ont perdu les uns et les autres. Au fur et à mesure des interactions dans le présent, il mesure mieux la volonté de certains de sortir de cette situation, soit en nouant de nouveaux liens sur des bases plus saines (pour Mark Markz), soit en regardant la réalité en face. Cette forme de captivité pèse sur chacun d'entre eux, et l'amertume ainsi générée s'exprime pleinement entre eux, puisqu'ils ne peuvent pas l'exprimer avec les habitants de Rockwood. L'intrigue globale progresse également puisque le lecteur apprend ce qu'il est advenu de Black Hammer (Joseph Weber) ce qui a vraisemblablement provoqué cet emprisonnement, et ce qui permet de le maintenir en l'état. du coup, il n'est pas bien sûr que le charme de cette série puisse résister à des machinations trop théâtrales devenant trop explicatives.

Ce deuxième tome confirme le pouvoir de séduction de l'évocation des superhéros DC et Marvel, sous forme d'une variation à la fois nostalgique et à la fois décillée, avec assez de différences pour être un récit intéressant par lui-même. Dean Ormston effectue un travail toujours aussi adroit à rester en équilibre entre l'évocation visuelle avec une touche surannée, et un récit intimiste. Jeff Lemire continue à étoffer ses personnages, par un portrait psychologique construit sur la base de leur histoire personnelle. Dans le même temps, il fait progresser une intrigue qui risque de s'avérer plus conventionnelle.
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