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Critique de berni_29


Jeudi dernier, j'ai eu la chance de rencontrer Ginette Kolinka. La conférence était organisée par les chères libraires de ma commune, les Julie, et ma médiathèque préférée où a eu lieu l'événement. Était également présente à ses côtés Aurore d' Hondt, qui venait de publier quelques mois plus tôt une magnifique BD sur le récit de Ginette Kolinka.
Elle en était déjà à sa troisième conférence de la journée.
Ce qui m'a fasciné, c'est le sourire de Ginette Kolinka, la joie de vivre qui rayonne sur son visage. Une joie qu'elle a envie de partager. Puis elle ferme les yeux, se souvient comme si elle était là-bas et elle raconte son récit.
Une vie heureuse est un court texte autobiographique qu'elle a écrit avec la complicité de Marion Ruggieri. Je relis une fois encore la belle dédicace qu'elle m'a écrite après la conférence. Je me souviens de lui avoir dit à ce moment-là que ma mère avait un an de moins qu'elle, que son premier amour, c'est-à-dire aussi le père de ma soeur ainée Madeleine, avait été fusillé par la Gestapo parce qu'il était résistant. J'ai vu son regard empli de compréhension étreindre le mien, longuement, elle n'a rien dit. Sa dédicace était peut-être les seuls mots qu'elle savait poser à cette douleur.
Une vie heureuse est une déambulation dans l'appartement familial parisien qu'elle a quitté durant les mois de sa fuite vers le sud de la France puis lors de sa détention dans le camp d'Auschwitz-Birkenau, après son arrestation avec son père et son frère. Cette déambulation de pièce en pièce est prétexte à transmettre ce devoir de mémoire qui tient à coeur Ginette Kolinka.
Je crois bien qu'elle évoque toujours dans ses rencontres avec son public, la chance qu'elle a eu de s'en sortir vivante.
En cette fin d'après-midi-là, elle a regardé l'assistance et a demandé aux personnes qui avaient moins de quinze ans de lever la main. Elle leur a alors dit qu'à Auschwitz ils auraient été directement dirigé vers les chambres à gaz...
J'ai aimé ce livre qui fait sens à cette rencontre qui demeurera pour moi inoubliable. Elle fait du lecteur que nous sommes un porteur de mémoire, avec le souci de la continuité. Dire, continuer de dire, inlassablement, ce qui fut l'intolérance, la méchanceté humaine, dire pour que cela ne recommence plus.
Aujourd'hui plus que jamais il nous faut entendre et transmettre cette parole. La montée de l'extrême-droite aux portes du pouvoir me fait peur, le contexte de l'antisémitisme aussi.
Il y a sans doute sans doute un impératif social et politique plus que moral à entendre ce que nous transmet Ginette Kolinka.
C'est l'impossibilité d'oublier plutôt que le devoir de mémoire qui prévaut d'abord.
Pourquoi moi ? dit-elle. Pourquoi pas les autres qui n'ont pas eu la même chance que moi ?
C'est la mémoire du passé qui ne passe pas, mémoire irrévocable qui ne s'effacera jamais. C'est un passé incrusté dans le présent.
Elle déambule dans ce parcours de vie, d'une pièce à l'autre.
Comment révoquer le passé ?
La mise en récit des horreurs qu'elle a vécues lui permet de tenir debout.
Lorsque Ginette Kolinka évoqua ce soir-là devant nous le souvenir de cette jeune femme qui venait d'accoucher dans le camp et lorsqu'un des nazis saisit ce nouveau-né pour le jeter et le briser contre le mur d'en face, je n'oublierai jamais le silence de l'assistance et je ne peux pas retenir mes larmes en écrivant ces mots, parce que j'ai vu la scène sous mes yeux. Elle disait cela sans émotion comme décrivant le quotidien de ces quelques mois passés au camp d'Auschwitz-Birkenau.
C'est la mémoire d'une perte de soi, perte de sa propre identité. C'est une mémoire mise en récit et non un récit. C'est la mémoire de quelque chose d'incroyable qui dit ce que fut la misère absolue et indicible, qui dit la phrase qu'elle dit pour envoyer malgré elle son père et son frère vers la mort. " Vite ! Sauvez-vous par là-bas ! " Mais par là-bas c'étaient les chambres à gaz. Elle dit cela et sans doute elle le porte encore aujourd'hui comme un sentiment de culpabilité.
Longtemps elle dit qu'il y eut la peur de ne pas être crue, tant le narratif pouvait paraître incroyable.
Qu'est-ce qu'un témoin qui revient de là-bas ?
Les témoins vivent dans une tragique solitude, une expérience hors-norme, incompréhensible.
Le témoignage reste toujours une preuve faible.
Le devoir de mémoire peut-il être transmissible, lorsque Ginette Kolinka ne sera plus là ?
Face au devoir de mémoire, il y a deux obstacles, l'oubli et la résistance au souvenir.
Je veux transmettre ce désir de poursuivre le chemin à travers mes mots, prenez-les, emparez-vous d'eux, diffusez-les comme des vols de colombes à travers le ciel sublime qui nous surplombe. Je vous en supplie. Il ne faut pas oublier. Jamais.
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