Je me prends une claque parce que j'ai en face de moi une vieille dame de 96 ans à l'époque, qui me parle de ses 19 ans alors que moi-même j'ai 19 ans se remémore Aurore D'Hondt, l'invitée de cet épisode, scénariste et dessinatrice de la bande dessinée Ginette Kolinka, récit d'une rescapée d'Auschwitz-Birkenau (Des ronds dans l'o).
Originaire de Brest, Aurore d'Hondt a été bouleversée par sa rencontre avec Ginette Kolinka, survivante de la Shoah lors d'une conférence dans le cadre de ses études d'ingénieur.
Elle nous raconte comment le témoignage de cette femme hors du commun l'a bouleversé, la poussant ainsi à écrire sa première bande dessinée.
L'histoire d'Aurore D'Hondt a été recueillie au micro de Camille Bichler.
Ce podcast a été produit par Johanna Bondoux pour le Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême et parrainé par l'Institut René Goscinny (https://www.institut-goscinny.org/).
Montage et Mixage : Adrien Leblond
Assistante de production : Morgane Mabit
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« Birkenau, maintenant, c’est un décor .
Quelqu’un qui n’en connaît pas l’histoire peut ne rien voir.
D’ailleurs quand j’y retourne , je dis toujours aux élèves : « Surtout, fermez les yeux, ne regardez pas! . »
Et je leur répète : « Sous chacun de vos pas, il y a un mort ... »
On nous conduisait au travail : si on me donnait une pioche, je piochais. Une pelle, je déblayais. Un trag, je portais... C'était ça. C'était tout. Je ne pensais à rien d'autre. Pas même à vivre ou à mourir.
Le cerveau s'éteint.
Et puis, à chaque fois que je témoigne, je suis faite citoyenne d’honneur. Les maires, ils ne sont pas chiens, pour ça ! Toutes ces médailles, je ne sais plus où les poser. Je les garde car c’est offert avec plaisir même si ça n’est pas mérité. Autrefois, la Légion d’honneur, c’était pour les héros. Qu’est-ce que je suis, moi ? Un zéro. Mais les témoins se font rares.
À cette époque, je n’éprouve pas le besoin de parler, ni à ma famille ni aux amis. Et quand on me demande comment ça s’est passé là-bas, je réponds : « si un jour, j’ai un enfant et que ça recommence, je l’étrangle de mes propres mains. » Et je le pense.
Birkenau, maintenant, c'est un décor.
Quelqu'un qui n'en connaît pas l'histoire ne peut rien voir.
D'ailleurs, quand j'y retourne , je dis toujours aux élèves : "Surtout, fermez les yeux, ne regardez pas !"
Et je leur répète : "Sous chacun de vos pas, il y a un mort."
Même aujourd'hui, si je me plains de quelque chose dans ma tête, ça me ramène là-bas. Je me dis : "T'as pas le droit."
La déportation, tout le temps, tu y retournes.
Une pièce invisible.
Il ne faut pas être trop intelligent dans la vie. Si vous êtes trop intelligents, si vous réfléchissez trop... Moi, je ne réfléchis pas, les choses arrivent, ce n'est pas moi qui les décide.
On me demande pourquoi je souris tout le temps. Parce que j'ai tout pour être heureuse... Et puis, en blaguant, je dis aux élèves :
- J'ai payé mes dents assez cher comme ça, si en plus je ne les montre pas !
Perdre le moral, c'est précipiter la mort.