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Critique de Renatan


« J'ai bien fait de venir ici tout seul, pour le premier voyage immobile de ma vie »

« Les archipels de l'âme sont infiniment plus mystérieux et compliqués que les vrais rêves »

Qui ne s'est jamais imaginé au moins une fois dans sa vie vivre isolé sur un grand caillou entouré d'eau? Une île déserte, seul au monde, avec comme unique boussole le vent iodé des embruns de la mer. Marcher sur des terres vierges, libres et sauvages, en capturant le moment présent dans l'unique frontière de l'imprévisible, libéré de toutes contraintes. C'est ce qu'a fait Paolo Rumiz lors de son premier voyage immobile, isolé dans un phare au milieu de la Méditerranée. Seul ou presque, avec uniques habitants le gardien et son adjoint, des boucaniers vivant de la pêche et de l'air du temps, aussi discrets que solitaires.

« C'est un de ces lieux qui te font comprendre que, au-delà de la lumière de ton existence, il existe le néant incommensurable… Cet à-pic est la représentation du mystère, tu es devant quelque chose qui ridiculise les malheurs des hommes »

« Ici, il faut savoir se résigner aux ajournements et aux attentes, et même prendre le goût des errances et du périple. »

Sans télé ni aucun moyen de communication – à part une petite radio à ondes courtes - l'écrivain-voyageur a consacré ses jours à l'exploration de son nouveau milieu de vie. Il a contemplé les étoiles, admiré les soleils couchants sur la mer, observé les oiseaux et, même, apprivoisé un âne borgne amoureux fou des citrons. Sans oublier Cassandre, une vieille poule solitaire… Mais avant tout, Paolo Rumiz s'est passionné de « vents », ceux qui secouent violemment les fenêtres et vous incitent à rester à l'abri.

« Chaque vent déchaîne en toi une tempête de sentiments inattendus »

Qu'il s'agisse de sirocco, de nevera, de tramontane, de levante ou de levantazzo, il en parle avec une poésie qui donne envie de pleurer d'émotion, tant c'est beau…

« ce vent d'est humide et infâme est une lamentation, une migration d'âmes mortes, il vous pousse dans les cavernes inexplorées de votre for intérieur » - le levantazzo

« c'est un vent chargé de lumière et de reflets, qui anime la mer de vagues fréquentes et riches d'écume, qui gorge nos rochers de couleurs, qui porte des semences de myrte et de romarin, qui mûrit les figues de Barbarie et les raisins, qui ensanglante de coquelicots les champs de blé, qui féconde la mer de nouveaux poissons… » - le levante

Seul avec lui-même dans l'un des phares les plus hauts du monde, affrontant les pires tempêtes de vent aussi bien que l'accalmie des jours, Paolo Rumiz réinvente un environnement à l'image de ses bousculements intérieurs. Avec lui, on est emporté par des vagues d'émotions fortes. Pour peu que l'on se ferme les yeux quelques instants, c'est un roman que l'on contemple en paysages, émus par la beauté des lieux. L'auteur colore ses mots d'un discours anti-modernisme où il s'oppose notamment à la pêche industrielle « qui vide la mer », puis aux GPS qui tuent à petits feux ces « gardiens de la lumière »…

« Il m'a suffi de m'arracher au vacarme de la terre ferme, à la tempête des SMS, à l'overdose de données, aux débilitantes musiques de supermarché, et de venir sur une île déserte. Là tout est évident. Il y a un système qui nous abrutit de calmants, qui nous maintient dans un état de confusion mentale, dans le but précis de ne pas nous laisser comprendre qu'un gang de pillards est en train de dévorer le monde. Derrière la guerre en Irak, derrière la Syrie, l'Ukraine, les Balkans, derrière tous les « ismes » et les drapeaux, les nations et les religions, il y a toujours cet accaparement éhonté des dernières ressources de la planète. »

Sweet manU, le King des marais de Charente, rêve parfois de déserter son marais à grenouilles pour vivre « sur un îlot désert de toute présence humaine ». Un grand merci de m'avoir permis ce voyage immobile…

« Je reste comme un naufragé, ballotté par la tempête de mes pensées »

Le phare, voyage immobile. Et mon coeur y est encore…
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