Marche avec moi

Carly répond, mais ne peut s'ôter de l'esprit l'idée que le salut était destiné à tout le monde excepté elle. Jen chevauche toujours à côté de Virginia, ce qui donne l'impression à Carly que tout le monde a sa place dans le paysage, sauf elle.

Carly est réveillée en sursaut par un coup frappé à la porte de la caravane. Il la tire d’un sommeil et d’un rêve profonds. Mais elle ne sait pas ce qu’était ce rêve. Le coup le réduit en miettes. Elle se retrouve assise toute droite, regarde autour d’elle, et n’a aucune idée de l’endroit où elle se trouve ni pourquoi. Elle ne semble pas non plus être capable de rassembler ses idées. C’est presque comme si elle dormait toujours, mais avec les yeux grands ouverts. C’est une sensation angoissante.

Elles boivent à satiété avant de repartir. C’est la première fois que, pendant plus d’une demi-journée, elles n’ont pas trouvé sur leur chemin de station-service avec des toilettes. Carly est effrayée de se trouver si loin d’une source d’eau. Et d’un téléphone.
Avant la fin de la journée, elles parviennent aux collines. Elles les gravissent jusqu’au sommet et découvrent la vallée suivante. Carly s’attend à voir encore quelques-unes de ces possibilités de trouver de la nourriture, de l’eau et des abris qui ont jalonné leur chemin jusqu’à présent.
Devant elles il n’y a rien que le désert.

De nouveau, Jen donne un coup de pied tout en sautant de façon exagérée, et Carly arrive à formuler ce qu'elle avait remarqué. D'où vient à Jen toute cette énergie ? Elles sont épuisées toutes les deux. C'est vrai, là, elles ne marchent que depuis une heure. Mais quand on passe son temps à faire des kilomètres comme elle le font, jour après jour après jour, on est fatigué lorsqu'on se réveille. On ne peut pas être reposé. La bête ne peut pas être fraîche.

S'ensuit un silence qui paraît durer longtemps, un siècle. Probablement deux ou trois secondes. Mais parfois, il y a des moments de deux ou trois secondes qui s'étirent comme des siècles.

C'est comme ça qu'on range quelque chose à l'abri des regards, pense-t-elle. C'est joli, c'est net. On le voit, et l'instant d'après, on ne le voit plus. Avant, elle était capable de faire ça avec tout. Mais maintenant, elle sait. Il y a des choses qu'on ne met pas au placard aussi facilement.

Quand on est dans le pétrin, c'est comme ça. Cela prend tout le temps qu'on avait l'habitude de consacrer à travailler, à manger et à dormir. Ca aspire toute votre vie comme un trou noir dans l'espace aspire la lumière du soleil. Et alors, là où vous aviez une vie, tout ce qu'il vous reste, c'est de vous retrouver dans ce pétrin.