Le hikitruc désigne un phénomène qui aurait émergé de l'Extrême Orient avant de toucher progressivement l'ensemble du monde, comme bien d'autres maladies exotiques de l'époque.
Le hikikomori préfère ne rien foutre chez lui plutôt que de ne rien foutre à l'extérieur. Même la vie sociale finit par ne plus l'intéresser, et c'est à ce point de bascule que l'inquiétude des « proches » semble devenir la plus patente. Vont-ils aussi se faire jarter du lot ?
Aujourd'hui, l'état d'urgence dit de crise dite sanitaire oblige une grande partie de la population à vivre comme des hikikomori. Cette frange de la population, majoritairement tertiairisée, ne menait de toute façon au sein du monde extérieur qu'une parodie de vie active puisqu'elle se contentait la plupart du temps de brasser de l'air. Elle se bat maintenant contre des moulins à vent depuis l'écran de son ordinateur personnel. Encore une fois se trouve confirmée la théorie selon laquelle le normal n'est que le consensuel d'une époque donnée. le hikikomori est devenu le normal de notre société depuis le mois de mars 2020. Je parle donc d'un livre traitant d'un thème obsolète.
A l'époque où
Andréas Saada commence à comprendre qu'il est hikikotruc, ce n'est pas encore la mode. Comme tous les mecs qui viennent de sortir de l'adolescence, il semble lui manquer quelques cases, et plus sa mère le tance pour qu'il fasse quelque chose de sa vie, moins il a envie de se démarquer. Nous ne lui jetterons pas la pierre.
Le récit reste cependant surprenant car la vie d'hikikomori qu'Andréas nous décrit nous semble finalement assez banale. le doute m'étreint : ne se contente-t-il pas de décrire la vie banale d'un jeune de notre époque (donc d'avant 2020) ? Andréas se prend une année sabbatique au lieu de poursuivre ses études de merde. Il passe ses nuits en boîte et dort la journée. Il cherche vaguement un stage dans des entreprises au bord de la faillite, mais il n'en trouve pas. Il fume un joint de temps en temps avec un pote. Il traîne dans sa chambre et contemple un écran sur lequel défilent les images d'une quelconque série. La désidentification survient seulement lorsque Andréas nous explique qu'il n'a plus la force de sortir dehors pour s'acheter à becqueter. Mais comme sa mère lui fait des petits croques au jambon, y a pas urgence.
Le malaise surgit moins des phénomènes eux-mêmes décrits que du jugement qu'Andréas porte à leur encontre. Même s'il donne à lire son existence à un moment où il estime s'être éloigné de l'attitude hikiko, il en parle comme s'il n'en avait rien appris. Hikiko lui est passé dessus sans qu'il n'en sache rien. Il adopte l'attitude combative et volontariste souvent désignée comme l'idéologie dont le phénomène hikiko serait le symptôme. Andréas déclare vouloir à nouveau se plier aux injonctions qu'il semblait avoir refusées de tout son corps, plus que de toute son âme.
Pour désigner son comportement, Andréas se tance de couardise et de passivité. Au moment de prendre un quelconque métro pour aller gagner sa croûte, il constate avec emphase qu' « aux portes de l'action et de l'engagement, je reste saisi de stupeur, incapable de franchir le dernier pas qui modifiera ma vie. » Andréas retombe dans le discours aliénant. Aussi (et parce que) totalement soumis aux désirs de sa mère, il s'aligne, dans un mélange de débilité physique et de dépendance affective, sur les rêves d'avenir qu'elle prépare pour lui, sans lui demander son avis. Les deux semaines qu'il parvient à mener en stage de logistique constituent ainsi un plein succès.
« Ma mère était ravie de me voir me lever le matin – en plein hiver – et de revenir à une vie normale. En effet, je me réveillais tout seul, je prenais une douche, j'avalais un jus d'orange et je filais prendre mon métro. Je me sentais fier de moi : enfin, j'étais entré dans la vie active. »
Andréas semble n'avoir aucun désir qui lui appartienne en propre. Il accomplit le programme qu'une autre lui a réservé. Ainsi lui reste-t-il peu d'alternatives : vie de merde supposée normale ou néant.
Est-ce vraiment le phénomène hikikomori à la sauce occidentale qui est présenté dans ce livre ou l'abattement qui dévaste les hommes qui, empêchés de rencontrer le nom-du-père, finissent consumés par l'injonction à trouver une jouissance jusque dans le désir qui leur est le plus étranger ?