Ma mère s’est absentée pour la journée. C’est une bonne chose, car mon état ne tolère toujours pas de voisinage. Je n’y peux rien, c’est ainsi. La solitude fait partie du processus de retour à la normale.
Après tout, ce n’est pas comme si au-dehors quelque chose m’attendait, comme si je ratais des opportunités de vie géniale, comme si je ruinais complètement mon avenir. Parce que je reste cloîtré chez moi. Non, même avant mon retrait, je faisais du sur place. Je n’ai jamais été un bourreau de travail, un type fort et compétitif, un jeune loup prêt à tout défoncer pour gravir les échelons.
Je culpabilise et je réalise combien de temps j’ai perdu à errer dans les rues de Paris, dans les boîtes de nuit ou dans les cafés. Je me revois alors cloîtré dans ma chambre à mater des séries, à dormir et à prendre la vie du côté qui me semblait le plus facile. De tous ces jours, il n’en reste rien à présent.
Ma mère, qui ne s’est aperçue de rien, pioche dans son plat, les yeux rivés sur l’écran. Tant mieux. Je prends sur moi afin de garder le masque de l’immobilité quand mon être tout entier traverse une tempête. Elle va s’inquiéter, ce qui est la dernière chose à faire face à un anxieux. Je n’ai pas envie qu’elle intervienne, qu’elle me touche, qu’elle me parle. Il faut comprendre que je dois être seul, car je suis vulnérable et incapable de me défendre contre une intrusion qui se veut bienveillante mais qui s’avère intrusive et inadaptée. Je me concentre sur un seul objectif : continuer de respirer.
Mes amis n’ont rien remarqué. Ne me sentant pas bien du tout, j’ai voulu me rendre aux toilettes pour m’isoler. Mais j’ai été incapable de me lever. Mes membres refusaient tout bonnement d’écouter les ordres de mon cerveau. Ce dernier venait de se prendre irrémédiablement les pieds dans le tapis de mes pensées les plus folles, les plus agitées, les plus absurdes. Mes jambes tremblaient à présent.
La journée avait défilé à toute allure et le soir, alors couché sur mon lit, mes dernières pensées avant de plonger dans un sommeil réparateur ont été pour ces instants de labeur. Je n’avais qu’une hâte : retourner bosser.
Volonté et capacité : cette nuance deviendrait la ligne de démarcation entre deux époques, deux histoires, deux vies.
Vous buvez de l’eau et vous avez l’impression que cette eau n’en est pas, elle ne passe pas, elle assèche votre palais, le contact de votre verre placé dans votre main renvoie lui aussi un signal alarmant, Il n’est plus simplement un verre mais un objet qui vous raconte la même histoire : vous allez mourir.
C’est contre une injonction précise que je m’érige : faire des efforts, encore, toujours. Tout est question d’efforts. Lorsqu’on est un jeune adulte, il faut se trouver un but dans sa vie, il faut réussir, se poser avec femme et enfants, cultiver une vie mondaine. Mais pourquoi est-ce devenu obligatoire ? Rester chez moi comme j’aspire à le faire est aussi un mode de vie. Sans certitude que mon bonheur soit dans la réclusion, j’ai en tête une vie entrecoupée de retraites entre quatre murs. Ce besoin n’est-il pas naturel chez l’homme ?
Subir sans agir, la couardise plutôt que l’affrontement, le la est donné.