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Critique de Darkcook


En tant que lubrique notoire, auto-proclamé, et assumé, qui a pour maîtres à penser Ellroy et Bukowski depuis de bien longues années, tous mes amis éclataient de rire et démolissaient ma crédibilité quand je leur disais que je n'avais encore jamais lu les écrits du Divin Marquis... Il FALLAIT que je comble cet... impératif. Voila qui est chose faite, et je m'en vais gloser à propos de Justine.

Je ne savais pas du tout que j'allais lire un truc pareil, je pensais à quelque chose de proche des Liaisons dangereuses, à un roman confiné dans les boudoirs luxueux... Que nenni! Imaginez un roman philosophique à la Voltaire, mais version trash. L'héroïne Justine n'a de cesse (et vraiment... c'est TRÈS répétitif, un des seuls reproches qu'on puisse faire à l'oeuvre) de tomber de Charybde en Scylla sur 360 pages. Partout où elle va, elle sera violée, torturée, victime de chantage, accusée de meurtre, etc. Avec à la clé, des joutes verbales incroyables, car chez Sade, les voleurs, criminels, pervers les plus dérangés, toute la lie de la société, sont de formidables raisonneurs et philosophes, qui défendent dans des argumentaires magistraux leurs pratiques et vues morales. le roman est ainsi structuré : Justine arrive quelque part, chez quelqu'un, elle se fait duper et se retrouve prisonnière des plaisirs et des infâmies de son hôte, mais avant ou après la scène orgiaque, nous avons droit à la justification par le forban de ses "affreux systèmes" comme Justine les appelle, avec même à la clé arguments d'autorité. Je dois dire que les premiers sont assez extraordinaires, on dirait presque du pré-Hugo, encore une fois version trash, car le grand Victor ne saurait voir cela : Sade justifie le crime, la légitimité à exercer le mal, à cause de la pauvreté terrible, des inégalités qui s'abattent sur ceux qui sont devenus des malfrats. Les tirades en faveur de l'athéïsme, qui montrent à la pauvre et vertueuse Thérèse (identité factice de Justine durant toutes ses aventures dégradantes) que Dieu est forcément absent ou mauvais vu ce qu'il arrive à sa plus fidèle disciple et à quel point les brigands triomphent toujours d'elle, sont également assez jouissives. J'ai pensé à La Fontaine aussi, lorsque la pyramide de la Création est remise à plat, que toute vie, jusqu'à la plus misérable, est défendue, justifiant ainsi le meurtre, puisqu'il nourrit les vers!

Mais au fur et à mesure que le roman se répète et que les délires des tortionnaires empirent, on se lasse et on adhère moins, particulièrement quand il s'agit évidemment de défendre l'infanticide, le sadisme à proprement parler, le plaisir du meurtre, etc. Mais l'exercice rhétorique, de la part de Sade, est tout de même louable. La fin est plutôt inattendue, et j'ai bien ri.

Par le caractère systématique des pièges et horreurs dans lesquels tombe Justine/Thérèse, et l'omniprésence du Mal, cela peut être une lecture difficile et rebutante pour beaucoup de lecteurs, âmes sensibles s'abstenir... Malgré l'humour gras à certains passages, le côté parodie des romans de l'époque et la naïveté incorrigible de Justine qui prêtent parfois à rire.

Sade est en effet souvent apparenté au roman noir, ou perçu comme un précurseur... Je ne suis pas vraiment convaincu par cette étiquette. Certes, il donne à voir une société ENTIÈREMENT gangrénée par le vice et la corruption, où Justine, et seulement deux ou trois véritables bienfaiteurs, sont des exceptions... Mais on reste tout de même dans une ambiance, une écriture (magnifique, soit dit en passant, bien qu'elle aussi répétitive) et une construction romanesque caractéristiques du XVIIIe siècle.

Ce qui est drôle, c'est qu'il existe trois versions de ce roman, de la plus soft à la plus hard. Celle-ci est l'intermédiaire. Je n'ose imaginer la troisième (La Nouvelle Justine)...

Me voila convaincu, malgré évidemment le petit lot de réserves! J'en lirai certainement d'autres plus tard, j'en ai quelques-uns... En attendant, je pense revenir à une de mes idoles de toujours...

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