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Critique de SZRAMOWO


Merci aux éditions Buchet-Chastel de m'avoir adressé le roman de Laurent Sagalovitsch, Vera Kaplan, dans le cadre d'une opération masse critique, Babelio.

Vera Kaplan, comme le lui a affirmé son avocat la veille de son procès, n'était-elle «...qu'une enfant, une malheureuse enfant prise au piège de l'Histoire.» ?
C'est la question à laquelle le livre de Laurent Sagalovitsch essaye de répondre.
Le narrateur est le petit fils de Vera Kaplan. Il apprend l'existence de cette grand-mère qu'on lui avait caché, en décembre 1998. Sa mère, Paula, la fille de Vera, est décédée depuis trois ans.
Il se retrouve seul avec la lettre de von Herr Kraus, notaire à Wiesbaden qui lui adresse le cahier et les carnets rédigés par Vera Kaplan et l'informe à la fois de l'existence et du suicide de la vieille dame.
Héritage insoutenable. Héritage inavouable. Héritage quand même.
Vera Kaplan était juive à Berlin aux pires heures de l'Allemagne nazie. Elle était une victime désignée. Mais, contrairement à d'autres, elle a « cru que sa destinée était de vivre.»
Elle a refusé le rôle de victime et, ce faisant, a endossé l'habit du bourreau.
Laurent Sagalovitsch s'est inspiré de la véritable histoire de Stella Golschlag pour écrire Vera Kaplan.
Il a eu la riche idée de faire parler le petit fils de Vera Kaplan. Un personnage à la fois proche et lointain. Proche par sa propre mère, Paula, dont il comprend mieux, en découvrant l'existence et le passé de Vera, l'origine du «...mal qui la rongeait et l'amenait à se conduire comme une clandestine de sa propre vie.». Lointain parce qu'il a vécu, comme sa mère l'a voulu, en dehors de son histoire.
Fiction réaliste, fiction destinée à nous interroger sur « la qualité de notre nature profonde lorsque « nous nous retrouvons confronté de plain pied à une situation à laquelle nous n'avons jamais été préparés.»
Sans emphase, sans pathos, sans prétendre donner de leçons, la force de ce livre est de nous transformer en spectateur actif. Comme le petit fils. Nous apprenons l'existence d'un fait. Nous l'analysons avec les yeux de Vera Kaplan en lisant son cahier, dont elle dit, s'adressant à sa fille, qu'elle l'a écrit parce qu'elle a éprouvé le besoin, après la prison, «...de me raccrocher à cette idée que tôt ou tard ce cahier se retrouvera entre tes mains à toi, puisque au bout du compte, j'en ai bien conscience, c'est à toi, et à toi seulement qu'il est destiné...»

Le regard de Vera sur son passé est double.
Le cahier fut écrit en 1998. Après qu'elle ait purgé une peine de dix ans de prison ; après qu'elle se soit engloutie dans la société allemande des années 1950-1960 - «Je n'aimais que les aventures furtives, les amours d'une nuit, les rencontres sans lendemain. (...) Longtemps j'ai vécu comme ça. Quand je suis sortie de prison j'ai eu un tel besoin de m'étourdir.» - ; après qu'elle ait renoué avec sa culture et soit devenu à trente-neuf ans, une interprète Allemand-Hébreu recherchée. Ce travail, elle en fait le support de sa quête éternelle et vaine, retrouver sa fille Paula qu'on lui a enlevée alors qu'elle n'avait qu'un an, qui a été confié à une famille d'accueil vivant en Israël.
«Si tu pouvais savoir combien j'aurais aimé parler avec toi en Hébreu, te parler et que tu me répondes, parce que te parler, je n'ai jamais cessé de le faire, en Allemand ou en Hébreu, du soir au matin, je te parlais, en silence ou à voix haute, dans la rue ou au milieu de ma cuisine.»
A la fin de la rédaction du cahier, Vera se suicide.

Le carnet, lui, écrit dans l'action, contient la transcription du déroulement des événements vécus, subis, voulus (?), par Vera, jeune, entre le 2 mars et le 19 juin 1944, et s'interrompt brusquement à cette date.
A l'hôpital juif de Berlin, où sa mère a été admise, elle rencontre celui qui, pour sauver ses parents de la déportation, va la convaincre de collaborer à la dénonciation de Juifs qui ont échappés aux rafles,.
«Et quand on s'est quittés en se donnant rendez-vous à la même heure, au même endroit, vendredi prochain, tu avais un si beau sourire que je n'ai pu m'empêcher de te sourire à mon tour, mais c'était un sourire d'adieu. C'était le sourire de la mort qui se réjouit d'avoir attrapé dans ses filets une nouvelle victime. C'était le sourire du monstre qu'en l'espace d'une journée j'étais devenue. Et avec qui je vais devoir apprendre à vivre.»
«Moi, j'ai l'impression que je me bat à ma façon. En restant en vie, en refusant d'accepter de devenir une de leurs victimes, je me conduis comme un être humain, pas comme une vache docile qu'on amène à l'abattoir. C'est devenu parfaitement clair ces derniers jours. Je vais me sauver.»

En inversant l'orde chronologique des écrits de Vera, l'auteur nous amène à comprendre le cheminement de sa pensée.
Vera adulte dit «J'étais mue par des forces que seul le temps, la lente décantation du temps, m'a permis de saisir et d'appréhender dans toute leur immense complexité.» ; alors que Vera jeune affirme « J'ai décidé que je n'aurais plus de remords. Je fais ce que je dois faire. C'est tout.»

Ce faisant, Laurent Sagalovitsch nous implique dans l'histoire, nous substitue à Vera. Une question : et moi qui aurai-je été ? traverse sans arrêt le roman, réminiscence de la citation de Valdimir Jankélévitch en exergue à la page 9.

La conclusion du récit appartient au narrateur. Il est Interrogé par son fils de onze ans, (l'âge auquel Vera a commencé à être confronté à la montée des violences nazies envers les Juifs), après qu'ils aient visité l'exposition, «La vie des Juifs à Berlin sous le Troisième Reich», consacré pour partie «...au rôle de chasseur joué par certains Juifs,...» :
«Sur le chemin du retour, Samuel, mon fils aîné alors âgé de onze ans, m'a demandé si ce qu'avait fait Vera était mal. J'ai réfléchi et j'ai fini par lui répondre que je ne savais pas. Aujourd'hui encore, je ne sais pas.»
Ces paroles ramènent à celles du procureur, gravées dans la mémoire de Vera :
«...qui donc peut se lever et dire avec la certitude la plus implacable, en toute conscience, moi, je sais qu'entre une vie déchue et une mort louable, j'aurais opté pour la mort, qui ?»

In memoriam :
Vera Kaplan : 1922 - 1998
Paula Kaplan : 1945 - 1995
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