Citations sur Ta main sur ma bouche (26)
J’aime que les gens aiment Chloé. C’est un peu idiot mais c’est très fort en moi ce sentiment. Ça me rend encore plus fière de la connaître. Cet homme qui me faisait peur il y a trente secondes, je le trouve maintenant hyper touchant. Il faut que j’arrête de flipper comme ça tout le temps. J’ai vraiment honte de l’avoir humilié devant tout le monde. Je voudrais le prendre dans mes bras pour lui demander pardon mais ça se fait pas de faire ça.
Ce genre de type il faut leur montrer qu’on a pas peur d’eux. Même si c’est pas vrai. Leur montrer qu’on est beaucoup plus forte qu’ils l’imaginent. Il me fixe ? OK, moi aussi je le fixe. Bim. Alors ? Ça fait quoi d’être regardé comme ça espèce de connard ? Ah ça y est, il tourne la tête. Il regarde par la fenêtre maintenant. Il a compris à qui il avait affaire. Il a les cheveux filasses et clairsemés. Ses yeux sont enfoncés, son nez pointu. Il doit avoir l’âge d’Édouard mais il fait beaucoup plus à cause de son look improbable. Son jean est trop neuf et son K-Way le boudine. Le parfait beauf. Zéro goût. Zéro conscience de soi. Je vais le prendre en photo. Comme ça s’il m’agresse, j’aurai sa tronche à montrer chez les flics. Il sort un stick d’un sac plastique et se badigeonne les lèvres. La photo va être absurde.
Ceci dit, il paraît que même les femmes voilées se font emmerder. Comme quoi ça sert pas à grand-chose de se cacher. Non mais c’est insupportable de se faire mater tout le temps comme ça. À la radio, je sais plus qui disait qu’après quarante ans ça se calme. Allez, plus que vingt ans à tenir. Franchement j’ai hâte. Hâte d’être vieille pour qu’on me laisse tranquille. Il faut que je me calme.
Ali me regarde tendrement. Je vois qu’elle détaille mon corps avec amour. J’aime ce regard si doux qu’elle pose sur l’homme que je suis. Elle part. Je ferme la porte d’un coup de pied. Faut que je me speede. Je traverse mon deux-pièces en courant. Pas le temps de prendre de douche. Pas même le temps de me faire couler un café. J’enfile mon pantalon de costume XXL de chez Uniqlo, ma paire de Vans déglinguée, mon bon vieux tee-shirt flingué d’un concert de Nathaniel Rateliff, ma veste en jean un peu trop large pour moi, je fous mon bonnet bleu marine sur ma tête et je chope au vol mon paquet de clopes sur mon pieu.
Elle m’emprisonne de ses bras et promène ses lèvres sur mon visage. Elle sent bon. Je glisse une main dans son short puis dans sa petite culotte pour venir chercher son sexe. Ça me ferait tellement du bien de faire l’amour. En une fraction de seconde, je bande. Ali me repousse gentiment.
En fait, je m’aperçois que plus j’avance en âge et moins j’ai de résistance. J’arrive plus à garder mon calme. À la moindre contrariété, je rentre en état d’angoisse. J’ai de moins en moins l’impression d’être dans la vie, mais toujours dans ma tête, préoccupé par des conneries de boulot. Ma messagerie m’indique un nouveau mail. C’est encore Marie : « Appelle-moi, now. » Non mais le cauchemar cette nana. Elle sait plus comment faire pour me joindre. Si je réponds pas, je la connais, elle va pas me lâcher et me harceler.
Trop maquillée. Je sens qu’elle a un vrai besoin de se plaire. Peut-être que c’est pour me plaire. Ou alors, tout ça, c’est pour Chloé. Je sais qu’Ali a une admiration infinie pour Chloé. Et je la comprends.
Faut parfois se battre pour se faire respecter. Moi, c’est juste que j’aime pas les conflits. La couette remontée jusqu’au nez, j’espionne ses allées et venues. Quelle beauté. Elle a la grâce. Je pense vraiment qu’Ali fait partie des beautés qui font l’unanimité. En fait, elle a une gueule, Ali. Un visage dont chaque élément pourrait sembler imparfait, mais étrangement, dans cette imperfection, tout s’accorde. C’est ça la beauté.
Elle me regarde avec une espèce de mépris adolescent. Elle me trouve déprimant. Sans valeur. Faible. Hypocrite. Peureux. Je me prends une douche d’insultes. Même pas je riposte. Pour elle, ce mec est une sombre merde. À cause de lui, elle a pas une tune. Il se comporte mal, et elle ne voit pas pourquoi elle devrait se taire. Pouvoir ou non, il doit être traité comme n’importe quel connard.
Moi, je trouve qu’à son âge on se doit d’avoir un peu plus de respect pour son employeur. Quand bien même ce type profite clairement de son pouvoir, c’est comme ça, faut en passer par là.