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Critique de NMTB


NMTB
27 février 2016
Le siècle commençait mal, pour la France, pour le roi et pour Saint-Simon. Il concluait ses mémoires de l'année 1701 par : « Ainsi finit cette année et tout le bonheur du roi avec elle. »
Louis XIV engageait une nouvelle fois la France dans une guerre harassante contre quasiment toute l'Europe, sous prétexte de défendre la couronne de son petit-fils en Espagne. Saint-Simon était très critique sur la manière dont cette guerre s'était déroulée (surtout en Italie sous les ordres de M. de Vendôme, qu'il ne cessait de dénigrer en cherchant constamment à atténuer la portée de ses victoires). A part quelques succès, la France connaissait aussi de lourdes défaites (bataille d'Hochstedt, de Turin), la guerre l'épuisait et le roi s'entêtait à vouloir la continuer. En même temps, il devait faire face dans le Languedoc et les Cévennes à une nouvelle insurrection des protestants, ainsi qu'à des révoltes de paysans asphyxiés par les impôts.
Quant à Saint-Simon, il entrait dans une petite période de disgrâce auprès du roi, alors qu'il était plutôt bien vu jusqu'ici. Après avoir quitté son service et la carrière militaire, à cause de contrariétés dans son avancement, l'opposition de son orgueil d'aristocrate à l'autorité royale allait connaître son apogée à la fin de 1703, lors d'une ridicule affaire de protocole mais que le duc prenait très à coeur. Il faudra une entrevue avec le roi et un habile discours de Saint-Simon pour calmer les choses. C'est un passage court mais qui permet de bien comprendre la psychologie de Louis XIV et son rapport à l'aristocratie, si l'on n'oublie pas non plus les spécificités du caractère de Saint-Simon.
Il n'était pratiquement rien à l'époque, un jeune homme d'une trentaine d'années, sans plus de fonction (sauf qu'il semble s'être occupé de quelques problèmes d'héritage, de succession ; par la suite il s'engage dans la politique et fut même pressenti pour être ambassadeur à Rome en 1705). Il était quand même un duc et extrêmement fier de son rang, très à cheval sur les règles aussi, sur la morale, d'où sa passion pour l'étiquette de la cour de Versailles, le cérémonial, son respect de l'institution du mariage, son mépris des usurpations de titres, son hostilité aux enfants illégitimes, sa défiance envers les parvenus. D'où, aussi, ses réserves sur certaines décisions du roi, mais encore plus sur Mme de Maintenon et son influence néfaste. Véritable symbole de la mésalliance, de la petite naissance parvenue au sommet de l'Etat, « des aventures galantes plâtrées après de dévotion », il la détestait. Et cette détestation était réciproque, puisqu'il disait avoir eu vent qu'elle le « haïssait parfaitement », avant même de le connaître et sans jamais l'avoir fréquenté. Quant à lui, il la détestait cordialement, sans grande démonstration, simplement en la mêlant à des intrigues pas toujours propres et en lançant quelques piques. La même manière qu'il employait pour critiquer le roi, sans attaquer frontalement. Et pourtant, vis-à-vis d'autres personnalités, il pouvait dresser des portraits à charge, comme celui de M. de Vendôme, par exemple, présenté comme un sodomite, débauché, paresseux, incapable, malhonnête, sale, écoeurant, grossier, une véritable destruction, violente et truculente. C'est ce qu'il y a de plus fascinant dans ses Mémoires, tous ces personnages que rend Saint-Simon, sans omettre aucun défaut, dans une gamme très étendue, de la légère insinuation à la hargne la plus féroce. A part sa femme et quelques proches, il était rare qu'il fût exclusivement élogieux et il lui arrivait même de juger sévèrement ceux qu'il disait avoir été ses amis.
C'était le cas de Mme des Ursins. Sous la fonction de simple camarera-mayor de la reine d'Espagne, elle s'était arrogé un rôle important, faisant et défaisant les hommes d'Etat. Elle fut un temps la protégée de Mme de Maintenon, un personnage clé, à la carrière mouvementée. Saint-Simon jugeait son action en Espagne très mauvaise, allant jusqu'à la qualifier de dictatoriale. Il développe longuement ses agissements pour les dénoncer, et on reste étonné quand, plus tard, il dévoile aussi qu'il la considérait comme une amie. Dans ces années, il tisse aussi tout un réseau de relations parmi les ministres les plus importants : Véritable ami du duc de Beauvilliers, il entretenait plus curieusement de bonnes relations avec le chancelier Pontchartrain et avec Chamillart, ministre un peu oublié par l'Histoire mais le plus puissant de l'époque, qui cumulait à lui seul les anciennes fonctions de Colbert et de Louvois (il le répétait souvent, comme pour l'excuser d'une charge trop lourde). Il renoue aussi avec un ancien ami d'enfance, le duc d'Orléans, le futur régent, dont il s'était éloigné à cause de ses débauches. D'un autre côté, il avait ses ennemis, la maison de Lorraine, M. et Mme du Maine et leur cour, tout ce qui pouvait sortir de là-dedans lui était automatiquement antipathique.
Il faut enfin noter qu'il fait à la fin de ce volume une comparaison entre le gouvernement de Castille et d'Aragon, l'un étant entièrement sous la domination du roi d'Espagne, l'autre dirigé par un « justice » indépendant, terme espagnol désignant le chef d'une assemblée ; la Castille ressemblant donc au régime centraliste français et l'Aragon au régime parlementaire anglais. Philippe V, en bon roi d'origine française, met fin à cette exception aragonaise. D'autre part, au sujet de l'Angleterre, un peu plus avant, au début de l'année 1707, il s'étonnait de la facilité avec laquelle les Ecossais avaient abandonné leur souveraineté au profit du parlement anglais. Toutes ces considérations sur la formation de certains aspects des Etats européens encore en vigueur aujourd'hui sont évidemment très intéressantes. Malheureusement, je n'ai pas l'impression que Saint-Simon en sentait bien toute la portée, car il n'aborde tout ça que rapidement, préférant dérouler ses longues, emberlificotées et assommantes généalogies.
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