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Critique de gerardmuller



volupté / Charles Augustin Sainte-Beuve (1804-1869)
Alors que son navire fait route une nouvelle fois vers l'Amérique pour un retour définitif, un homme qui a embrassé la prêtrise se confie vingt ans après les faits à un ami pour lui conter ses passions coupables et ses hésitations, le combat entre le besoin de Dieu et ceux fébriles de la chair qu'il a connus.
Le narrateur, orphelin de père et de mère dès le bas âge, Amaury apprend-on par la suite, avait dix-huit ans lorsque, après les désastres de la Révolution, il quitta le statut d'étudiant rêveur pieux et pur, animé d'une grande ferveur religieuse. Silence, régularité, travail et prière marquaient les heures de cette chaste existence avec Montesquieu en toile de fond de la petite chambre sise toute en haut de la maison familiale. Ses héros étaient Cyrus et Alexandre, puis Constantin et Théodose, et plus tard les missionnaires chrétiens partis pour les Indes. L'étude du grec après celle du latin lui ouvrit alors de nouveaux horizons de lecture et notamment celle d'Ésope.
Mais alors comment dans une vie aussi frugale et bien réglée l'idée de volupté vint à effleurer l'adolescent, pour le gagner peu à peu par mille détours et sous de perfides dissimulations ? Il se rappelle alors son professeur de latin et les passages de l'Énéide qu'il lisait à l'insu du maître avant de se les faire expliquer en même temps que les odes voluptueuses d'Horace et les vers licencieux d'Ovide. Ces passages suscitaient déjà une certaine volupté qui lui chauffait le corps avant qu'il ne découvre Properce.
Paradoxalement son naissant désir lui fait fuir les jeunes filles, son trouble rendant rédhibitoire toute approche, cette excessive pudeur prenant alors des allures de maladie.
Puis peu à peu au fil du temps cette espèce d'hystérie morale va se dissiper…
Ses promenades à cheval le mènent souvent du côté de la Gastine, ferme dont est propriétaire la famille de Greneuc. le vénérable et très fortuné couple de Greneuc héberge leur petite fille âgée de dix-sept ans, Amélie de Liniers, ainsi que sa cousine germaine Madeleine de Guémio âgée de sept ans. Toutes deux sont orphelines, leurs parents ont été emportés par la tourmente révolutionnaire. Les visites répétées d'Amaury à la ferme sont toujours des moments de douce familiarité animés de conversations diverses par Amélie dont le charme et l'esprit vif et cultivé s'allient à une beauté qui ajoute séduction et tendresse à ces moments délicieux. Un lien délicat s'instaure et flotte entre Amélie et Amaury qui régulièrement rejoint M.de Greneuc à la ferme pour une partie de chasse.
Ainsi égrène le narrateur les souvenirs de douces années où l'amour lui tendait les bras mais où sa nature le poussait à la recherche de l'action et de la gloire, assoiffé qu'il était des saintes lettres, en songeant au studieux asile qu'est le cloître. « Un pressentiment douloureux jusqu'à la défaillance s'élevait du fond de mon être, et, dans sa langueur bien intelligible, m'avertissait d'attendre, et que pour moi l'heure des résolutions décisives n'avait pas sonné. » Et plus loin : « Tendre François de Sales j'étais né pour marcher vers le salut sur vos traces embaumées. » Mais à la vérité, il s'égare en convoitant les gynécées.
À quelque temps de là, au cours d'une partie de chasse, Amaury fait la connaissance du marquis de Couaën et fréquente son domaine régulièrement. Revenu d'Irlande vers la Bretagne après la Révolution avec une jeune femme charmante, déjà mère, le marquis mène une vie assez secrète. Amaury fait des séjours de plus en plus longs au manoir du marquis et notamment au sein de la bibliothèque richement pourvue. Et peu à peu « Madame de Couaën éloigne mademoiselle de Liniers sans régner elle-même » précise notre visiteur qui est pris chaque fois d'un trouble à sa vue. D'une sensibilité extrême, il est encore à un âge où il désire tout ce qui flatte les sens et où il croit pouvoir aimer tout ce qu'il désire. C'est alors que le bonheur d'une promenade avec elle lui est offert par Madame de Couaën alors que son mari est retenu pour affaires. Lucy se confie et tandis qu'elle souhaite faire une halte pour prier dans une petite chapelle but de la promenade, Amaury rêve au soleil couchant et la douceur de ces instants devient le cuisant aiguillon des nuits qui suivent.
Et dans le même temps, il veut fuir le domaine pour ne pas succomber à la séduction de Lucy qui quant à elle, va tenter de lui faire rencontrer d'autres jeunes filles. Jusqu'au jour où le couple de Couaën se rend à Paris en compagnie d'Amaury et des deux enfants chez une tante, Madame de Cursy, ancienne supérieure d'un couvent de Rennes et vivant là en communauté avec quelques religieuses. C'est un enchantement pour Amaury : « le dépaysement surtout et la variété des lieux, quand on commence d'aimer, tournent au profit de l'amour. » Et puis il découvre visuellement les mondes de corruption de la capitale au cours de ses promenades en solitaire.
Lorsque le marquis est arrêté accusé de complot contre le Consulat, Madame de Couaën demande à Amaury, son ami le plus intime comme il se le dit, de l'accompagner à Paris avec les enfants. Au cours de ce séjour assez long, les pensées attendries d'Amaury demeurent pures encore, mais il termine ses soirées dans les quartiers du milieu, alternant ainsi de la convulsion grossière à l'aspiration platonique. Il acquiert ainsi peu à peu une connaissance raffinée du bien et du mal, en cette double voie qu'il pratique, tantôt en des courses lascives dans les fanges de quartiers et tantôt sur les nuées éthérées.
Et puis entre en scène Mme R. une amie de Lucy, belle femme dans sa parure ce soir-là au cours d'une soirée dansante, suscitant une ivresse chez Amaury fasciné par tant de grâce. S'exaltant dans une attente stérile d'un geste de Lucy, il rentre chez lui souvent de guerre lasse à la nuit close pour ressortir et aller chez Mme R. Deux femmes alors le troublent tour à tour, avec la crainte furieuse de les voir lui échapper toutes les deux. le temps passe...
Les retrouvailles à Blois où s'est installée la famille Couaën promettaient d'être un grand moment pour Amaury mais il s'étonne que Lucy ne fasse pas allusion à ses lettres où il s'épanchait hardiment. Elle est soucieuse de la santé de ses enfants et lui ne le comprend pas.
La relation avec Mme de R. suit son cours avec des hauts et des bas. La jalousie entre les deux femmes s'immisce dans les comportements et rend le statut d'Amaury un peu délicat dont la vie est tiraillée par l'une et par l'autre, lui pris au piège des amours illégitimes qui suscitent une angoisse telle une fièvre lente dont il compte les battements. « Voilà où mène le séjour dans ces situations fausses auxquelles on condamne sa jeunesse ; elles portent avec elles et en elles une expiation terrible. »
Bientôt ce sont trois femmes qui se rencontrent, Mme de R., Mme de Couaën et Amélie de Liniers et resserrent leur cercle autour d'Amaury. Trois femmes rivales tenant peut-être entre leurs mains la destinée d'un homme dont la vie est devenue un orage, un tourment, un conflit, un renversement presque perpétuel.
La relation avec Mme R. ne va pas toujours dans le sens de la facilité : « La défense opiniâtre et graduelle qu'elle opposait aux assauts , en ôtant toute ivresse à l'égarement , ne faisait que m'enhardir aux violences calculées . Si frêle et si brisée qu'on l'eût pu croire , elle avait une grande force de résistance comme de réticence . Ce n'était pas une de ces femmes que surmonte à un certain moment un trouble irrésistible , et sur qui s'abaisse volontiers le nuage des dieux impurs au mont Ida . »
Jusqu'au jour où la rupture semble inévitable…C'est le début d'une évolution pour échapper aux « navigations obscures » et Amaury se consacre à des lectures chrétiennes sentant que « la persuasion au christianisme est innée en lui après avoir été infidèle avec révolte dans son juvénile accès philosophique. »
L'entrée au séminaire, lui procure une grande paix une manière d'enivrement de frugalité et d'innocence. Plus tard ordonné prêtre, il apprend qu'Amélie a épousé un parti avantageux sur les conseils de sa grand-mère et que Mme de Couaën est souffrante, déclinant de jour en jour. Sept années ont passé depuis sa dernière visite et il choisit un bref retour au pays « afin de s'incliner vers son berceau et se rafraîchir un peu aux vierges ombrages de l'enfance, et enfin se repentir le long du sentier de convoitise de l'adolescent qu'il fut. »
Un détour pour respirer encore une fois l'odeur des bruyères et « s'imprégner de cette fleur éparse des vives années et du souvenir sans fin de quelques âmes. »
Après une visite à Mme de Couaën et à tous ces lieux impossibles à oublier, Amaury s'entretient un moment dans le jardin avec M.de Couaën au sujet de la santé de Mme et alors que Amaury s'apprête à partir, il apprend qu'elle a eu un malaise. À peine remise elle demande à Amaury de la confesser et la communier, sentant sa mort prochaine. C'est de cette femme tant aimée qu'Amaury, prêtre depuis six semaines, va pour la première fois entendre une confession, puis à elle aussi qu'il va pour la première fois administrer l'extrême onction… « Avec le premier frisson du matin, dans le premier éclair de l'aube blanchissante, au premier ébranlement de la cloche, au premier gazouillement de l'oiseau, cette âme vigilante venait de passer ! »
Quelques jours plus tard, Amaury quittait la France pour l'Amérique…Un premier voyage…
L'objet de ce roman publié en 1834 est la description d'un penchant par lequel une âme détournée de Dieu, ne sachant plus vouloir, s'étiole en rêveries et langueurs. Un roman philosophique et d'analyse au cours duquel le narrateur Amaury y raconte son ancien état de voluptueux, proche de la mélancolie, et sa rédemption par une conversion au christianisme..
Sainte-Beuve nous offre dans cet ouvrage une prose riche et lumineuse, parfois déconcertante et même difficile à suivre en raison des nombreuses digressions. Un livre à lire lentement en restant concentré.
Extrait 1:
« Aimer, être aimé , unir le plaisir à l'amour, me sentir libre en restant fidèle , garder ma secrète chaîne jusqu'en de passagères infidélités ; ne polir mon esprit , ne l'orner de lumières ou de grâces que pour me rendre amant plus cher , pour donner davantage à l'objet possédé et lui expliquer le monde : tel était le plan de vie molle auquel en définitive je rattachais tout bonheur. »
Extrait 2 :
« O vents qui avez passé par Bethléem qui vous êtes reposés au Pont sur la riante solitude de Basile ? , qui vous êtes embrasés en Syrie , dans la Thébaïde , à Oxyrinthe , à l'île de Tabenne , qui avez un peu attiédi ensuite votre souffle africain à Lérins , et aux îles de la Méditerranée , vous aviez réuni encore une fois vos antiques parfums en cette vallée , proche Chevreuse et Vaumurier ; vous vous y étiez arrêtés un moment en foyer d'arômes et en oasis rafraîchi , avant de vous disperser aux dernières tempêtes ! »
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